ENITEX/SOTEX : découverte du patrimoine industriel du Niger.
L’entreprise de transformation textile ENITEX/SOTEX est une entreprise de teinture du coton écru et de production de pagnes. ENITEX/SOTEX conserve un patrimoine industriel unique au Niger, constitué des machines mais surtout des savoir-faire des ingénieurs et contremaîtres. Les maquettes des impressions, réalisées aujourd’hui la plupart du temps sur ordinateurs par des infographistes, sont encore parfois dessinées à l’encre de Chine et à la gouache, sur du papier Canson, par des dessinateurs confirmés, qui sont aussi de véritables artistes.
L’entreprise ENITEX/SONITEX est située à proximité des entreprises LATEX/FOAM, UNILEVER et BRANIGER, dans le quartier historique de la ZAC, celui qui accueille les plus anciennes entreprises industrielles du Niger. Monsieur CHEIBOU Oumarou, directeur du Management et de la Qualité a, au nom du directeur général de l’entreprise, présenté les grandes lignes du fonctionnement de la société. L’entreprise a été crée en 1997 par un groupe d’investisseurs sino-nigériens, en l’occurrence China World Best, investisseur principal (80%) et Hua Fu International (À hauteur de 20%). Spécialisée dans la fabrication, l’impression et la commercialisation des produits textiles, ENITEX est essentiellement tournée vers l’impression des bandes de coton dont on se sert pour faire les pagnes (FANCY) et la teinture des fils de coton, destinés, eux, au marché des tisserands locaux traditionnels.
© Aurélien SUMKA (2014)
La transformation du coton et la commercialisation du coton remontent, au Niger, à la création de la « Nigérienne des Textiles » (NITEX) par le président DIORI Hamani (1969) avec les capitaux (70%) de la Société Agache Willot (Société Foncière et Financière du Groupe Agache-Willot, SFFGAW). La société transforme alors le coton graine de Gaya (CNUCI), et assure les activités de filature industrielle. Le groupe Agache-Willot vient d’une grande région textile, le Nord, et s’est implanté à Roubaix. Ce groupe, aujourd’hui disparu (1985), possède à cette époque aussi des marques célèbres comme Dior-Couture ou Ted Lapidus ! C’est sur les bases d’Agache-Willot que Bernard ARNAULT va fonder la grande entreprise qu’est LVMH, leader mondial du luxe.
Si ENITEX/SOTEX a longtemps assuré l’ensemble de la filière textile, de l’égrenage à la commercialisation, ce n’est plus le cas aujourd’hui. Les activités de filage et de tissage industriels demandent des quantités de coton que le Niger ne produit plus et ne sont plus rentables (2006). Le groupe SCHAEFFER ENGINEERING (Groupe alsacien fondé en 1798 et spécialisé depuis 2000 en édition de logiciels d’infographie pour l’impression du textile) rachète la NITEX (1978) qui devient SONITEXTIL. La transition politique (1991) fait passer la société dans le giron de l’État (1991-1997) avant que les investisseurs chinois ne la rachètent (1997).
C’est la création d’ENITEX, sans doute le nom sous lequel la plupart des Nigériens connaissent la société. ENITEX emploie maintenant encore 150 personnes, deux fois moins qu’une dizaine d’années auparavant, mais vend entre 7 millions (2001) et 3 millions de mètres de tissus de coton imprimé. La conjoncture régionale, la concurrence des pays de l’Asie orientale (Chine), l’entrée en compétition de nouveaux pays asiatiques (Inde, Pakistan) expliquent ces aléas de la production et de la commercialisation.
Au 1er janvier 2014, pourtant, la société est devenue la Société des Textiles du Niger (SOTEX SA) permettant la poursuite de l’activité industrielle dans un contexte commercial encore dégradé et difficile. La stratégie reste la même : orienter la production vers la satisfaction de la demande régionale. Depuis la crise du coton (2006) les usines régionales ont fermé. ENITEX/SOTEX exporte donc près de 50% de sa production vers les pays côtiers, y compris la Côte d’Ivoire ou le Gabon, même si certaines balles se dirigent aussi vers la France ou les États-Unis. Mais, désormais, le marché national ne représente plus le 1er marché d’ENITEX/SOTEX.
Monsieur GANDA Tahirou, chef du personnel, accompagne une visite des ateliers conduite par Monsieur ADA Yacouba, ingénieur et responsable du processus de production. Les ingénieurs et les techniciens supérieurs d’ENITEX/SOTEX reçoivent leur formation supérieure dans les pays de la sous-région mais encore en France, où dans l’Est subsiste encore une trame industrielle textile importante, et de plus en plus en Asie orientale. Mais au-delà des différences de formation, l’équipe doit être unie dans l’atelier car le processus de fabrication demande une surveillance constante de la matière première ou en cours de transformation. Les personnels restent en permanence dans l’atelier et à l’heure de la prière les tapis sont déroulés en face des rotatives.
Obtenir du pagne avec du tissu 100% coton est une activité longue et minutieuse. La chaleur des ateliers est suffocante, le bruit constant et les émanations des produits chimiques rendent le travail des ouvriers, des contremaîtres ou des ingénieurs assez pénible. C’est malheureusement encore assez souvent le lot du travail industriel. Les rouleaux de coton-écru importés attendent au pied des machines les étapes du long processus qui va permettre la production du tissu destiné aux pagnes.
L’atelier de production s’ouvre sur le laboratoire. On y réalise les essais de composition des nouvelles couleurs obtenues avec des mélanges de colorants chimiques ou naturels. Le laboratoire est chargé également de l’analyse des couleurs achetées par la société et des tests sur les cotons déjà teints.
La première étape consiste dans l’assemblage (①), en fonction de la quantité des commandes des clients, des bandes de tissus de coton écrus qui arrivent en rouleaux de 900 mètres. Les bandes sont cousues (À la machine à coudre) les unes à la suite des autres en lots qui peuvent atteindre 6 000 mètres. Le tissu est alors tondu pour le rendre lisse et éliminer les défauts les plus grossiers.
Le coton est alors (②) nettoyé par Caustification Réductible à Chaud (CFC) c’est-à-dire trempé par une solution à base de soude caustique, puis enroulé à chaud. Le coton, enfermé dans un caisson réceptacle hermétique, est mis à reposer une heure de temps (③) ce qui permet l’élimination des impuretés comme les pectines ou l’excès d’amidon. Il faut alors (④) laver les bandes de coton traitées, qui passent dans des bains d’eau mélangée à des savons et des solutions tensio-actives, ce qui permet de rendre le coton hydrophile, résistant à l’eau. Les bandes sont ensuite mises à la laize (⑤) : elles doivent mesurer entre 115 et 116 centimètres de large, pas plus. Un ouvrier vérifie régulièrement à la règle de métal la bonne dimension du tissu. Parfois le coton est traité en même temps par application d’une teinture jaune, ce qui permettra la pose de colorants azoïques.
Commence alors seulement le processus d’impression proprement dit (⑥) sur une rotative : chaque couleur est déposée sur le tissu par un rouleau dans lequel on injecte le colorant choisi. Il faut donc autant de rouleaux que de couleurs. La machine chargée de l’impression du coton peut aligner jusqu’à 8 rouleaux les uns derrière les autres. Les films plastiques avec les motifs dessinés par les infographistes sont déposés sur les rouleaux et permettent l’impression des formes et des couleurs voulus par les clients. Les entreprises, les syndicats, les églises ou les groupes de pèlerinages, les associations, commandent régulièrement des pagnes à leurs logos afin de célébrer tel ou tel événement. Les commandent proviennent aussi de l’étranger : ENITEX/SOTEX est un des dernières entreprises textile de la sous-région à pouvoir imprimer des motifs à la demande des clients. À l’issue de la teinte, les bandes de coton sont chauffée en passant dans des rouleaux d’acier rendus brûlants par projection, à l’intérieur, de vapeur d’eau sous pression. Le coton sort donc teint et sec.
Il faut assurer ensuite la fixation (⑦) des couleurs. Une solution à base de soude fixe les couleurs imprimées sur les bandes de coton. Un lavage (⑧) permet l’élimination des couleurs mal fixée. Une fois les couleurs fixées, le produit fini est à nouveau mis à la laize (⑩) afin d’en vérifier une fois de plus les bonnes dimensions. Les bandes teintes sont ensuite envoyées au calendrage (⑪), un repassage qui va donner sa brillance au tissu pagne obtenu. Les bandes de coton quittent alors l’atelier de fabrication et sont envoyées au pliage.
Une pièce entière est dévolue au conditionnement du produit, c’est apprêtage. Les bandes de coton imprimées sont d’abord inspectées et les parties défectueuses sont découpées puis retirées des lots. Les bandes sont découpées lots de 600 yards au maximum à raison de 100 pagnes de 6 yards. Le tissu de 1er choix est alors emballé soigneusement dans des toiles de plastiques imperméables. L’expédition peut se faire. Les clients viennent pour moitié du Niger et pour l’autre moitié de la sous-région : les camions semi-remorques viennent charger les balles de 600 yards de coton imprimé pour les apporter sur les marchés burkinabés ou ivoiriens.
Les pièces de second choix sont vendues à des prix moindres, ainsi que les chutes et les coupons défectueux. Mais l’ensemble du rouleau initial de coton va être vendu. Les coupons et les chutes serviront à faire les foulards, par exemple. Rien ne se perd !
La force d’ENITEX/SOTEX vient, en grande partie, de sa capacité à imprimer rapidement, et en assurant une qualité constante, des motifs à la demande. Le service d’infographie possède des dizaines de milliers de films plastiques of set sur lesquels sont conservés les motifs des pagnes imprimés par le passé. Mais des centaines de motifs inédits sont conservés dans les tiroirs de la société : de véritables œuvres d’art, dessinées par des artistes, à l’encre de Chine et à la gouache, sur des feuilles de canson grand format, et qui témoignent de l’exceptionnelle créativité de plusieurs générations de dessinateurs de la société tout au long de son histoire. Des cahiers conservent encore depuis la fondation de la société les échantillons des pagnes commandés par les clients. Ceux-ci sont de plus en plus nombreux à faire réimprimer des motifs anciens qu’ils remettent au goût du jour.
ENITEX/SOTEX assure aussi la teinture des fils de coton écru, usinés à l’étranger mais teints sur place. Ce marché intéresse particulièrement les artisans locaux qui tissent les couvertures traditionnelles. En effet la production locale de coton et la disparition progressive des fileuses traditionnelles et de leur savoir-faire rend l’appel aux produits importés nécessaire. La société assure aussi la teinte indigo des pagnes dits « de Guinée », d’un bleu-noir semblable aux tenues traditionnelles des Touaregs.
La société ENITEX/SOTEX fait donc figure d’emblème du patrimoine industriel du Niger mais elle illustre aussi les mutations de la filière du coton en Afrique. Si depuis sa création le complexe textile a été financé par des capitaux privés, sa longévité tient aussi au volontarisme de l’État nigérien. Aujourd’hui ENITEX/SOTEX manifeste les nouveaux partenariats économiques entre la République Populaire de Chine et l’Afrique, ce qu’on a appelé la « Chinafrique ». Ce sont, aujourd’hui, les investisseurs chinois qui assurent la pérennité de la filière industrielle textile au Niger, assurant l’exportation du coton chinois d’une part et d’autre part l’exportation des pagnes nigériens.
Cet article reprend les grandes lignes d’un article de compte rendu de visite publié initialement par les auteurs sur le site du lycée La Fontaine de Niamey, NIGER.
© Souleymane ALI YÉRO pour le texte de l’article et © Aurélien SUMKA pour les photographies, avec la courtoisie de l’entreprise ENITEX / SOTEX.