COMPOSITION
Dynamiques géographiques des grandes aires continentales : l’Asie du Sud et de l’Est : les enjeux de la croissance. (2/2)
Chine – Japon : ambitions mondiales, concurrences régionales.
Vous montrerez comment dans le monde, et en Asie du Sud et de l’Est plus particulièrement, la Chine et le Japon manifestent une identique ambition au rayonnement mondial et au statut de puissance qui lui est associé, et que cette commune ambition se mue en concurrence à l’échelle régionale ?
La folie meurtrière qui sévit au Proche et au Moyen Orient, la déstabilisation d’une partie importante de la bande sahélo-saharienne, les menaces globales que sont le terrorisme et les conséquences sociales du changement climatique, relèguent à l’arrière plan des « points chauds » du globe, dont les manifestations des tensions sont moins immédiatement spectaculaires. La Mer de Chine méridionale, qui voit s’affronter de plus en plus souvent les marines et les aviations des principaux États d’Asie, en est une bonne illustration. Naguère gelée par les logiques de la « Guerre froide » (1947-1991), la géopolitique en Asie du Sud et de l’Est devient liquide : les alliances se recomposent, les enjeux se précisent. La cause en est double : les appétits du géant chinois sur ses abords immédiats, la volonté japonaise de jouer un rôle régional plus affirmé. Les deux dynamiques s’entretiennent ; les appétits de la première renforçant les stratégies de sécurisation et de puissance du second.
* * *
La République Populaire de Chine (1949) et le Japon affichent tous deux des ambitions mondiales. C’est un fait nouveau, produit d’un XXIe siècle où les « puissances » ne sont plus seulement issues de la « Triade ». Cette ambition de rayonnement géopolitique mondial se traduit par une politique de puissance mais révèle aussi les fragilités des deux modèles.
La RPC et le Japon sont devenues, chacun à leur rythme et selon des modèles différents, d’incontestables puissances. Les deux États asiatiques cumulent en effet maintenant les attributs du hard et du soft power. La RPC et le Japon déploient aujourd’hui une panoplie d’outils de séduction. Le Japon est le premier à y avoir été contraint : il est considéré comme un danger pour l’équilibre des économies occidentales à la fin du XXe siècle (Édith CRESSON, Premier Ministre de François Mitterrand dénonçait ce « peuple de fourmis jaunes», Times 1989 et ABC News 1991). Le Japon réoriente sa diplomatie vers la promotion du cool Japan, pour briser le mythe des Japonais drogués au travail, samouraïs en puissance. Chaque année 25 millions d’€ sont consacrés par le Ministère des Affaires Étrangères japonais à la promotion de ce Japon séduisant et séducteur. La cuisine (Et la mode des sushis), la culture lettrée des Haïkus ou des films d’auteurs (Comme le Kurosawa de Ran, film mythique qui révolutionna le Western), les animés (Ceux de Miyazaki par exemple avec le Voyage de Chihiro, Ours d’or du festival International du Film de Berlin, 2002), les mangas (La France est après la Corée du Sud le deuxième marché mondial) dont le Japon produit annuellement 1,5 milliards d’exemplaires (Contre 110 millions de comics books aux États-Unis), les événements comme la « Japan expo » de Paris. Une partie importante de l’imaginaire de la jeunesse est façonné par des jeux pensés et réalisés au Japon, ceux de Nintendo (Mario, les Pokémon) par exemple. La Chine fait de même aujourd’hui pour répondre à ce qu’Hubert VÉDRINE appelait « […] la coalition mondiale des inquiétudes […] » : étendant (2004) son réseau de centres culturels (Les 210 « Instituts Confucius »), les chaînes de télévision traduites en Anglais ou en Espagnol et Français (CCTV), accueillant les manifestations internationales (Exposition universelle de Shanghai, 2010, Jeux Olympiques de Pékin, 2008). La diplomatie des cadeaux (En Afrique notamment) d’infrastructures (Pont comme à Niamey, bâtiments de prestige comme à Addis Abeba pour le siège de l’Union Africaine) parachève cette entreprise de séduction planétaire. Mais les deux États sont d’abord des puissances au sens classique du hard power. Les deux représentent des puissances économiques et financières : la Chine avec le 2ème PIB de la planète en Parité de Pouvoir d’Achat (PPA), le Japon avec un des meilleurs Revenu National Brut (RNB/hab./an/PPA) de la planète (35 000 US$), la Chine avec les meilleures réserves de change (2 500 milliards de US$), le Japon avec la deuxième capitalisation boursière mondiale (Tokyo, le Kabuto Cho et ses 4 000 milliards de US$ de capitalisation quotidienne). Mais elles sont aussi des acteurs géopolitiques majeurs : la RPC est le 2ème budget militaire mondial, membre permanent du Conseil de Sécurité de l’Organisation des Nations Unies (ONU) avec le droit de veto afférant. Le Japon est l’allié privilégié des États-Unis, accueille des bases militaires sur son sol (Okinawa), et dispose d’une Force Japonaise d’Autodéfense (Japan Self-Defense Forces, JSDF) qui sous son nom apaisant est, derrière la Chine, le meilleur outil militaire de la région, engagé depuis l’Afghanistan (2001) dans les opérations de maintien de la paix de l’ONU. En Asie du Sud et de l’Est ces deux puissances sont également interdépendantes, l’une fournissant capitaux et marchés à l’autre qui en retour lui offre des travailleurs et de l’espace de production.
La Chine et le Japon doivent cependant relever des défis importants, et dans des délais assez courts. Certains sont communs aux deux États : c’est le cas de la dégradation environnementale, du déséquilibre générationnel. La Chine de 1,5 milliards d’habitants commence à sentir les effets de la « politique de l’enfant unique » (1979) mise en œuvre avec les « Quatre modernisations » (1978) de DENG Xiaoping. La solidarité intergénérationnelle traditionnelle ne peut plus jouer pour compenser les maigres retraites versées par l’État. Les paysans immigrés (Parfois illégalement comme les Mingongs) dans les grandes métropoles comme Shanghai, Pékin ou Guangdong ne peuvent ni ne veulent accueillir leurs parents, isolés et parfois miséreux restés dans les campagnes. Au Japon, le déclin démographique s’est déjà amorcé : la population arrivée à son maximum (120 millions, 2010) va perdre 10 millions d’habitants avant 2020, et l’immigration nulle (Moins de 3 000 immigrés / an) ne compense pas ce déclin. Les personnes âgées, isolées, sont aussi frappées par la pauvreté et nombre de petits retraités sont contraints de prendre un emploi peu qualifié pour survivre, parfois deviennent délinquants. Les fortes croissances (1960-1980 au Japon, 1990-2010 en Chine) ont entraîné des dégradations environnementales majeures : pollution des eaux des littoraux des Zones Industrialo-portuaires (ZIP), pollution des lacs et des rivières (Disparition du lac Poyang en Chine, le plus grand lac d’eau douce de Chine), pollution nucléaire après l’accident de Fukushima (2011) au Japon. La Chine en outre doit relever des défis spécifiques : l’apparition du chômage (40 millions de chômeurs par an et par point de PIB en dessous de 8% de croissance) ou la montée des salaires dans les Zones Économiques Spéciales (ZES) qui entraîne des mouvements de délocalisation, initié par des Firmes Transnationales (FTN) étrangères mais aussi chinoises vers les Nouveaux Pays Industrialisés d’Asie de 2ème génération (NPIA-2) comme la Thaïlande, la Malaisie, voire de nouveaux compétiteurs (Cambodge, Vietnam). Les défis sont aussi politiques : la société civile chinoise, très active sur un Web pourtant contrôlé, dénonce la corruption, y compris celle des « princes rouges », fils et petits-fils de dignitaires. XI Xinping le président chinois (2013) a du mettre en œuvre la politique dite « Des tigres et des mouches » pour lutter contre les grands et les petits corrompus, mais le procès de BO Xilai, ancien maître de Chongqing, a montré que la chasse aux corrompus vise d’abord les ennemis politiques de l’équipe en place. Le buzz Internet ironique autour de la campagne du Parti Communiste Chinois (PCC) de recopiage des 15 000 idéogrammes de la charte du PCC a montré la perte de crédibilité de cet organe essentiel du pouvoir chinois. Mais que pèsent les 80 millions de militants du PCC sur 1,5 milliards d’habitants ? Au Japon, la classe politique liée au monde des affaires est tout aussi décrédibilisée… Le Japon peine a sortir des années 1990-2010 de très faible croissance et les politiques de relance n’y ont rien changé. Les tensions s’accroissent du fait que les deux géants voient dans l’affirmation de leur puissance régionale des remèdes à leurs défis intérieurs.
*
Les ambitions mondiales du Japon et de la République Populaire de Chine (RPC) se transforment en tensions aiguës en Asie du Sud (L’Asie du sous-continent indien) et de l’Est (L’Asie sinisée) où elles deviennent une véritable concurrence aussi bien politique et géopolitique (1) que scientifique ou économique (2).
L’Asie du Sud et de l’Est est devenue le champ clos des rivalités chinoises et japonaises. La volonté de la RPC de s’assurer de ses abords n’est pas nouvelle : appui au Vietminh (1949), annexion du Tibet (1950), Guerre de Corée (1950-1953), satellisation du Laos (1955), affrontements armés en Mandchourie contre l’URSS (1968-1969), revendication d’une « Chine unique » et de l’annexion de Taïwan, réintégrations de Hong Kong (1997) et de Macao (1999), étaient déjà les marques d’une géopolitique très claire de défense des frontières. Le fait nouveau est la Chine est devenue plus agressive et plus ambitieuse, aspirant à jouer seule le rôle de leader régional. La diplomatie chinoise a d’abord intégré la RPC dans un ensemble d’alliances multilatérales (Comme, 2001, l’Organisation de Coopération pour la Sécurité, OCS, ancien « groupe de Shanghai », lutte anti-terroriste en Asie centrale), et bilatérales (Soudan en Afrique, Syrie au Proche et au Moyen orient, Sri Lanka en Asie du Sud, Birmanie en Asie de l’Est). La Chine a ainsi étendu son « collier de perles » (Réseau de bases militaires le long de la route maritimes des hydrocarbures) et enserré son rival asiatique, l’Inde. Jusqu’à prendre pied en Afghanistan où sa coopération technique et financière est plus dynamique que celle de l’Inde. Une fois le « collier de perles » en place, une fois sécurisés ses arrières ouïghours (Xinjiang) grâce à l’OCS, la Chine a affirmé ses appétits en Mer de Chine méridionale (Vietnam, Singapour, Malaisie). Ses revendications sur les archipels des Paracels, des Spratleys et des Senkaku se sont transformées en présence militaire navale, puis terrestre, et en affrontements militaires certes feutrés et discrets mais systématiques. Les intérêts économiques chinois sont en jeu : volonté de contrôler les routes stratégiques du commerce industriel mondial (Détroit de Malacca), volonté de s’assurer d’une zone riche en hydrocarbures off shore… Mais la RPC fait aussi sentir sa puissance militaire, attribut essentiel d’une puissance. La modernisation de sa flotte (onstructions de porte-avions) entre dans le cadre de cette politique de démonstration militaire. Par un effet retour, le Japon est devenu pour ses voisins un acteur fréquentable. Alors que les visites régulières des Premiers Ministres japonais au temple de Yasukuni-Jinja de Tokyo, où sont conservées les cendres des criminels de guerre pendus à l’issue du procès de Tokyo (1947-1948), avaient tendu à l’extrême les relations diplomatiques du Japon avec ses voisins (Corée du Sud, Philippines), les rodomontades de la Chine le rendent acceptable. La Chine tente de donner au renforcement de sa présence géopolitique une coloration multilatérale (Patrouilles dans l’Océan Indien, lutte contre la piraterie dans le Golfe d’Aden et au large de la Somalie…) mais les démonstrations de force inquiètent. Elles inquiètent d’autant plus que la RPC n’a pas de projet pour le monde, se contentant le plus souvent de s’opposer aux propositions occidentales. Le Japon modernise sa flotte (Système anti-missile Aegis) et son aviation (F-18 et F-16) font des Forces d’Autodéfense Japonaises (FAJ) la 1ère force aéronavale d’Asie. Mais le Japon reste encore isolé, les réponses régionales aux agressions chinoises sont elles-mêmes très décousues.
Les affrontements navals entre les marines de guerre de la région cachent un fait nouveau : les économies des deux géants délocalisent massivement vers ce qu’il faut bien appeler les NPIA-3 (Cambodge, Birmanie, Bengladesh…). La Chine a vu la part asiatique de son commerce extérieur chuter au fur et à mesure qu’elle investissait en Afrique et dans les pôles de la Triade. L’Asie du Sud et de l’Est représentait 70% de ses exportations en 1992, plus que 40% en 2010, et 50% de ses importations, plus que 36% à la même date. Mais en parallèle, les firmes chinoises ont délocalisé dans les NPIA-2, le Bangladesh, le Vietnam et le Cambodge. Ces délocalisations des firmes chinoises ont masqué l’accroissement de l’implantation chinoise en Asie. La cause en est la montée en gamme de l’économie chinoise, de moins en moins textile (Délocalisé au Sri Lanka et au Bangladesh), de plus en plus de haute technologie (i Phone d’Apple, industrie spatiale). La RPC exporte même son savoir faire en Inde, dans le domaine de la construction des centrales thermiques par exemple. Les revendications salariales (Augmentation du salaire de base qui monte à près de 500€ dans les ZES) ont entraîné des vagues de délocalisations. Mais la piètre qualité des produits Made by China (Fabriqués par la Chine) explique aussi le repli de certains investissements étrangers. C’est le cas de Toyota qui relocalise ses unités d’assemblage automobile au Japon. En conséquence, la Chine doit réajuster son modèle de croissance, et fait le pari de la qualité, délaissant les activités industrielles à faible Valeur Ajoutée (VA) à des pays moins disant socialement. La Chine reste dépendante des Investissements Directs Étrangers (IDE) asiatiques : 80% des 100 milliards d’IDE annuels investis en RPC sont de la région. La RPC affronte aussi les contestations de plus en plus nombreuses sur la question des droits de propriété industrielle : les avions de guerre sont des copies russes, le Train à Grande Vitesse (TGV) chinois fabriqué par CSR est une copie du Shinkansen japonais fabriqué par Kawasaki. Au contraire, le Japon déploie sa présence économique dans sa périphérie proche. Le Cambodge apparaît comme le ban d’essai de son redéploiement politique et économique. 6 000 soldats japonais sont déployés au Cambodge pour assurer le déminage et la restauration de l’État, tandis que la coopération japonaise (JICA) construit des ponts (Phnom Penh), ou rénove les infrastructures portuaires (Sihanouk – Ville). Derrière cet activisme au Cambodge, c’est un rapprochement entre le Japon et l’Association des Nations du Sud – Est Asiatique (ASEAN) qui s’opère, après plus d’un demi-siècle de froid diplomatique. Si ce rapprochement sert les nouvelles visées géopolitiques japonaises, il sert aussi sa réorientation commerciale : près de 50% des exportations japonaises se font à destination de la région, plus de 40% de ses importations en viennent. L’ASEAN devient le pivot de la recomposition régionale, intégrant comme observateur le Japon, la RPC et la Corée du Sud, (ASEAN+3) et la Nouvelle-Zélande, l’Australie et l’Inde (ASEAN+6).
* * *
La Chine et le Japon sont deux puissances mondiales mais fragiles : la Chine étant plus évidemment une puissance géopolitique, le Japon une puissance scientifiques et financière. Ces ambitions mondiales assez nouvelles se métamorphosent en tensions à l’échelle régionale de l’Asie du Sud et de l’Est, bassin originel de la puissance des deux pays. Les confrontations sont devenues hebdomadaires alors même que ces deux puissances sont toutes encore largement marginalisées par l’ASEAN, le pivot des recompositions régionales. Les deux géants asiatiques devront en passer par une normalisation durable de leurs relations avec leurs voisins, et par la publication d’une doctrine claire de leurs visées et de leurs projets. Car pour l’instant ni le Japon ni la Chine ne disposent de l’attribut majeur d’une puissance mondiale : un projet global pour le monde.
© Erwan BERTHO (Mai 2015, révision Mai 2016, révision Juin 2016, révision juin 2017)
→ Cliquez ci-dessous pour télécharger le document principal au format Microsoft Office Word:
COMPOSITION GEOGRAPHIE 6.3 Dynamiques des aires continentales L’Asie Chine-Japon
ARTICLES CONNEXES :
→ Cliquez ICI pour accéder au plan détaillé compact de la composition corrigée « Chine – Japon, ambitions mondiales, concurrences régionales. »
← COURS PRÉCÉDENT « L’Asie du Sud et de l’Est, les défis de la population et de la croissance. »
→ Cliquez ICI pour accéder à l’index de la catégorie « Dynamiques géographiques des aires continentales (3/3): Asie du Sud et de l’Est, les défis de la croissance. »
→ Cliquez ICI pour accéder au programme de Géographie des classes de Terminales générales séries ES & L
→ Cliquez ICI pour accéder au programme de Géographie des classes de Terminales générales série S