ÉTUDE DE DOCUMENTS Histoire Terminale « L’Asie dans les relations internationales. »

ÉTUDE DE DOCUMENTS

« Quelle est la place de l’Asie dans les relations internationales de 1945 à 1975 ? »

Conseils spécifiques à l’Etude de documents. 

  • Utilisez une copie d’examen pour la première partie « Réponse aux questions » et une autre pour la « réponse organisée au sujet ».
  • Ne vous précipitez pas sur les documents : analysez le sujet avec rigueur d’abord.
  • Lisez ensuite les questions et essayez de voir les liens entre les questions : dessinent-elles une argumentation ?
  • Attention ! Les documents n’illustrent pas nécessairement la totalité du sujet. Les documents peuvent illustrer une partie de la réponse au sujet, ou tous les aspects du sujet mais da manière partielle.
  • Regardez ensuite les documents : vous avez analysé le sujet et lu les questions, vous comprenez donc les liens entre les documents.
  • Vous êtes aussi capable de voir quelles sont les informations nécessaires à la réponse organisée au sujet mais que les documents n’apportent pas/
  • Ecrivez les questions avant d’y répondre : cela vous permet de vous les remettre en mémoire.
  • Répondez précisément et clairement aux questions posées. Chaque réponse à une question apporte un certain nombre de points et pas plus. Inutile donc de sur développer une réponse qui ne vous apportera de toute façon pas plus de points que ce qui a été prévu.
  • Dans la mesure du possible reprenez les termes de la question pour y répondre.
  • Si la question est double faites deux paragraphes.
  • Si vous le pouvez (Vous avez du temps et des connaissances) vous pouvez aller plus loin que la stricte réponse : nuancez, apportez des contre arguments.
  • La synthèse, « réponse organisée au sujet », est le moment clé. C’est la partie de l’épreuve qui rapporte le plus de points.
  • La synthèse est le moment pour dépasser les connaissances et aller plus loin dans l’analyse.
  • L’introduction de la réponse organisée au sujet est plus courte que celle d’une composition mais elle doit montrer l’intérêt du sujet et en délimiter le cadre. Définir les termes du sujet est donc nécessaire au moins au brouillon.
  • Faites des paragraphes clairement identifiés comme tels grâce aux alinéas.
  • Sautez des lignes.
  • Dans les réponses aux questions utilisez des exemples précis (Lieux, acteurs, dates, notions, chiffres…) et référencez-les précisément : tel document, telle nature, tel auteur, telle ligne…
  • Citez correctement : utilisez les guillemets, les points de suspension entre crochet qui rappellent que la citation est tronquée, insérez correctement votre citation. Soit vous dites par exemple « ainsi que le dit un tel quand il rappelle que « […] bla bla bla […] » soit vous insérez la citation dans le corps de votre phrase en mettant les références entre parenthèses.

 Commentaire et analyse du sujet. 

Le sujet étant déjà problématisé – comme tous les sujets d’étude de documents – la difficulté ne vient pas de la problématisation. Cela ne veut pas dire qu’il ne faut pas analyser le sujet, ni qu’il ne faille le définir. En effet ce sujet simple en apparence recèle deux difficultés majeures auxquelles les candidats doivent être sensibles. 1°) La définition de l’Asie : elle est prise comme une totalité comme si sa place dans les relations internationales était monolithique alors que bien évidemment ce pas le cas. Définir ce qu’est l’Asie et ce qu’elle est dans le dossier documentaire n’était pas superflu. Nous y reviendrons. 2°) Bien prendre en considération que « les relations internationales » ce n’est pas que la guerre froide. C’est aussi la décolonisation, l’émergence et l’affirmation du non-alignement et la constitution du Tiers-Monde avec ses organisations régionales propres comme l’ASEAN par exemple. Ainsi si cet exercice peut paraître plus facile qu’une composition parce que la problématique est déjà donnée, parce que la partie de rédaction-argumentation est plus réduite et parce que la réflexion d’ensemble est guidée par des questions, le sujet en lui-même restait difficile. Prendre l’analyse du sujet de manière désinvolte était une grave erreur.

Qu’est-ce que l’Asie – ainsi que le sujet le libelle ? C’est du strict point de vue géographique le continent qui s’étend de la mer Méditerranée au Pacifique, incluant donc la Turquie, Israël (Et on sait le poids particuliers de ces deux Etats dans les relations internationales depuis 1945). Le sujet d’ailleurs incluait explicitement l’Inde (et donc le sous-continent indien) à travers les documents. Le candidat avait donc la possibilité de prendre l’expression Asie dans son acception la plus vaste, mais cela donnait un devoir très étoffé. Le mieux était donc dans une courte introduction de noter que le terme Asie était bien vague et que en suivant les documents du dossier le candidat choisissait une option médiane en ne traitant que l’Extrême-Orient (Asie de l’Est et du Sud-est) et le sous-continent indien. On n’oubliera évidemment pas que le Japon est en Asie.

Mais on ne devait pas autant évacuer le problème que représentait l’extrême diversité géopolitique de la région. En aucun cas il ne fallait aboutir à l’idée que l’Asie avait réussi à parler d’une seule voix, puisque ce n’est toujours pas le cas. Rien de commun entre la République Populaire de Chine qui rompt son alliance avec Moscou, le Japon, proconsulat américain puis allié fidèle des Etats-Unis ou l’Indonésie non-alignée et leader du renouveau spirituel de l’Islam avec le Pakistan, par exemple.

Le terme relations internationales était lui aussi très vague. On pouvait lui donner trois déclinaisons : 1°) la Guerre froide, 2°) la décolonisation et l’émergence du Tiers-Monde et 3°) Le non-alignement et ses réussites contrastées. Ces trois déclinaisons pouvaient d’ailleurs donner naissance à un plan en trois parties : Quelle est la place de l’Asie dans les relations internationales ? L’Asie a été parfois successivement parfois en même temps I. Un champ de bataille de la Guerre froide II. Le théâtre des premières décolonisations et le lieu de naissance des premières organisations non-alignées et III. Une des régions du Tiers-Monde où la croissance soutenue et régulière a permis l’émergence de puissances régionales et mondiales.

On pouvait conclure que l’Asie n’avait pas eu une mais plusieurs places qui répondaient d’ailleurs à l’extrême diversité des situations régionales ou locales. Parler de l’Asie comme d’une entité géopolitique n’ayant dans les années soixante dix pas grand sens.

 PREMIÈRE PARTIE

Le candidat analyse l’ensemble documentaire en répondant aux questions suivantes.

  1. Relevez dans les textes 2 et 4 les arguments justifiant les interventions militaires américaines en Asie. A quelle doctrine font-ils référence ? 

 Les interventions militaires américaines sont justifiées à quinze ans d’intervalle par le président démocrate des Etats-Unis Harry Truman et le secrétaire américain à la Défense Robert Mac Namara avec les mêmes arguments : combattre l’expansion du communisme en Extrême-Orient non pas tellement pour le combattre lui-même en tant que doctrine mais pour combattre et interdire son expansion. Le 27 juin 1950 le président Truman dans une « déclaration sur la Corée et l’Extrême-Orient » justifie ainsi l’entrée en guerre des forces armées américaines en Corée du Sud : « […] le communisme a dépassé le stade de l’emploi de mesures subversives pour conquérir des nations indépendantes, et emploiera maintenant l’invasion armée et la guerre […] » (Document n°1, lignes 8 et 9). Mac Namara, selon l’article du Monde (en date février 1965) déclare « […] L’enjeu du Vietnam du Sud est de loin plus important que l’abandon d’une petite nation au communisme. Nous pouvons être certains que dès qu’ils auront obtenu le contrôle du Vietnam du Sud les communistes poursuivraient leur campagne subversive au Laos et ensuite en Thaïlande. […] » (Document n°4, lignes 8 à 10).

La deux doctrine qui guide la réponse américaine est celle du containment, c’est-à-dire le fait de contenir l’expansion communiste en aidant pour tous les moyens (y compris mais pas seulement militaires) les nations déstabilisées. Elle est liée à la « théorie des dominos » qui postule que dès qu’un pays est passé dans l’orbite communiste (c’est-à-dire soviétique ou chinois) tous les pays voisins sont à leur tour menacés de déstabilisation.

La doctrine du containment fut largement un échec dans la mesure où les raisons qui poussaient les populations à aider les guérilleros communistes dépassaient le simple cadre idéologique. La plupart des régimes déstabilisés étaient aussi des dictatures dans lesquelles la répartition des richesses était scandaleusement inégale. Et l’aide américaine ne visant pas à établir une participation plus large des populations au développement ou une plus juste répartition des richesses produites manquait donc le cœur du problème. Mais la « théorie des dominos » apparaît aussi peu fondée : la chute de Saigon en 1975 n’entraîna ni celle du Cambodge déjà déstabilisé mais par une guérilla hostile au Vietnam, ni celle du Laos ni celle de la Thaïlande. Et l’ensemble du Sud Est asiatique resta dans la zone d’influence américaine.

  1. Comment se manifeste la confrontation Est – Ouest en Asie ? (Document 1)

 La confrontation Est – Ouest se manifeste, dans le document intitulé « Les blocs en Asie (1944 – 1954) » (Extrait des Dossiers et documents du Monde. , numéro spécial), de deux manières. D’abord par le clivage idéologique et par une ligne de conflits qui coure le long de la zone de contact entre les pays communistes et les pays restés fidèles à l’alignement pro-occidental.

L’Asie est le théâtre d’un fort clivage idéologique. Au Nord-Ouest l’Union des Républiques Socialistes Soviétiques (URSS, 1921), la République Populaire de Chine (RPC, 1949), le Nord (1954) puis le Nord et le Sud Vietnam (1975), la République Démocratique et populaire de Corée (Corée du Nord, 1945) appartiennent clairement au bloc communiste. A l’Est le Japon (1945), Formose (1949) et les Philippines (1945) sont des alliés explicitent des Etats-Unis. La carte ne mentionne que les Etats ayant passés entre 1944 et 1954 des accords officiels avec l’un des deux supergrands. Mais le Pakistan (1947), la Thaïlande et la Malaisie sont des Etats ayant adopté le système libéral et sont donc clairement alignés eux aussi sur Washington.

La conséquence de ce clivage idéologique est qu’au contact des deux blocs (comme en Europe) des crises de développent. La spécificité de l’Asie de l’Est et du Sud-est en ce domaine est que ces crises deviennent des guerres anti – subversives ou conventionnelles très dures. Ainsi de la « Guerre d’Indochine » entre la France et le Vietminh d’Hô-Chi-Minh (1946 – 1954, Accord de Genève), de la « Guerre de Corée » (1950 – 1953, Accord de Panmunjong), de la Guerre civile en Chine (1930’ – 1949, prise de Pékin par l’Armée Populaire de Chine) ou encore de la « Guerre du Vietnam » menée par les Américains au Sud et au Nord Vietnam (1962 – 1972 / 1975, Accords de Paris et chute de Saigon).

L’Asie a donc été très tôt (1946) et longtemps (1975) un champ de bataille de la guerre froide, parce qu’elle fut un enjeu entre les deux supergrands. On peut rajouter qu’elle fut ensuite un enjeu de la guerre froide que Pékin et Moscou se menèrent, au Cambodge par exemple où les Vietnamiens prosoviétiques luttèrent contre les khmers rouges maoïstes prochinois (1975 – 1979).

  1. De quelle évolution majeure dans les relations internationales le document 3 est-il révélateur ? 

 L’évolution majeure dans les relations internationales dont le document n°3 est le révélateur est bien sûr l’émergence politique en Asie d’un tiers-parti entre Moscou et Washington, tiers-parti qui ne s’appelle pas encore le mouvement des non-aligné mais qui prône déjà le non-alignement comme doctrine d’union pour les pays du Tiers-monde.

Parce que l’Asie a été le théâtre des premières décolonisations (Irak en 1932, Philippines en 1945, Indonésie en 1946, Inde et Pakistan en 1947, Indochine française c’est-à-dire Vietnam, Laos et Cambodge en 1954) elle est le théâtre de la naissance du Tiers-monde. La formule est d’Alfred Sauvy qui la définit dans un article de L’Observateur en 1952. Comme le Tiers-état qui n’est rien mais veut être tout. Il existe dit Sauvy « un troisième monde » entre Moscou et Washington qui aspire lui aussi à exister.

Cette existence du Tiers-monde comme réalité politique refusant l’alignement sur une idéologie ou une autre, et pour tout dire refusant l’alignement sur deux idéologies qui pour opposées qu’elles soient sont toutes deux occidentales, de grandes figures de la décolonisation en Asie vont la précipiter. Nehru, Premier Ministre de l’Union Indienne, Soekarno, père de l’indépendance de L’Inde, Zhou Enlai, se rencontrent à Bandoeng en Indonésie et définissent leurs objectifs : lutte contre la colonisation, et choix d’un développement économique et social libéré des canons capitalistes ou marxistes. On pourrait sans mépris dire choix d’un modèle de développement indigène. C’est l’acte de naissance symbolique du mouvement des non-alignés.

La présence de Zhou Enlai peut faire réfléchir sur les limites de ce mouvement. La République Populaire de Chine (RPC) que Zhou Enlai représente ici est clairement alignée idéologiquement (La Chine est communiste), militairement (Elle reçoit du matériel soviétique et vient d’aider deux ans auparavant la Corée du Nord à envahir et combattre la Corée du Sud) et économiquement (La RPC assure son développement industriel grâce aux spécialistes et techniciens soviétiques). Mais on retiendra que le modèle chinois a toujours voulu adapter le marxisme léninisme aux spécificités chinoises : ainsi le maoïsme fut (avant de devenir une farce sanglante et ensuite une faillite meurtrière) un marxisme agraire. Le contraire en somme du marxisme léninisme qui alla jusqu’à sacrifier, lors de la collectivisation, le prolétariat paysan pour nourrir l’industrialisation de l’URSS. Or le non-alignement c’est justement la volonté d’adapter les modèles existants aux spécificités des nouveaux Etats pour ne pas plaquer artificiellement un modèle exogène sur une société incapable de l’incorporer. En ce sens la présence de la Chine n’est donc pas absurde.

  1. A partir de l’ensemble du dossier, dites comment a évolué la position de la Chine pendant la guerre froide de 1947 à 1975 ? 

La Chine de 1949 à 1975 a été successivement un champ de bataille de la guerre froide, puis un acteur puis un arbitre des relations internationales.

En effet la Chine a été d’abord un champ de bataille de la guerre froide. Et on pourrait rappeler qu’avant que l’expression guerre froide n’apparaisse la Chine y était déjà engagée. Ainsi dans les années trente (Relisons le Condition humaine, de Malraux) lorsque Tchang Kaï – Tchek à la tête du Parti nationaliste combat les communistes de Mao Tsé – Toung il est déjà financé par les grandes puissances occidentales qui couvrent ces crimes justement au nom de la lutte contre la subversion communiste. La guerre qui reprend et qui aboutit en 1949 à la proclamation de la République Populaire de Chine (1949) et à la bipartition (Manie de la Guerre froide pourrait-on dire) de la Chine avec l’érection de Formose en Etat souverain ne fait que prolonger cette guerre des années 1930’.

Quand la Chine communiste soutien la Corée du Nord (1950 – 1953) et le Vietminh (1946 – 1954) d’Hô-Chi-Minh, ou quand elle soutient l’Angka de Pol Pot (1975 – 1979) elle devient un acteur de la guerre froide. Un acteur de plus en plus autonome d’ailleurs. Son aide à la Corée du Nord fut essentiellement commandée et financée par Moscou, Pékin ne fournissant alors « que » les hommes, et n’étant en somme qu’un « homme de paille », un prête nom de Staline. Le fait que la mort de Staline (1953) permette le règlement rapide d’une guerre qui s’était enlisée montre assez que les intérêts vitaux de Pékin n’étaient pas engagés dans cette guerre. En revanche son soutien aux Khmers rouges n’était pas une commande mais bien une initiative, correspondant à un alignement idéologique comme à la volonté de gêner les Vietnamiens, alliés des Soviétiques.

Enfin la visite de Nixon à Pékin en 1972 montre que Pékin s’est érigé en arbitre des relations internationales. Les Etats-Unis sont obligés d’aller à Canossa pour réussir à sortir de la guerre du Vietnam (1962 – 1975). La Chine est en mesure de contrebalancer et même de supplanter l’influence d’un des deux supergrands. Elle devient alors une puissance continentale.

 DEUXIEME PARTIE

A l’aide des réponses aux questions, des informations contenues dans les documents et de ses connaissances, le candidat rédige une réponse organisée au sujet : « Quelle est la place de l’Asie dans les relations internationales de 1945 à 1975 ? »

                Le 2 septembre 1945, à Hanoï, dans la partie septentrionale de l’Indochine que les Français appellent le Tonkin, Hô-Chi-Minh, secrétaire du Parti Communiste Indochinois, proclame l’indépendance du Vietnam. La Seconde Guerre mondiale commencée et achevée en Asie cède immédiatement la place à la décolonisation. En 1949 c’est la Chine qui bascule dans le camp communiste, suivie de la Corée du Nord. L’Asie est devenue en quatre ans le théâtre des lus grands champs de bataille de la Guerre froide. Le 22 février 1972, moins de trente ans après, le président conservateur américain Nixon se rend en visite officielle en République Populaire de Chine pour y rencontrer l’homme dont l’aide aux Nord Vietnamiens vient de valoir aux Américains la première défaite militaire de leur histoire : Mao. Le maître de Pékin. Le Maître de l’Asie de l’Est et le nouvel interlocuteur des Etats-Unis. L’Asie n’est plus un théâtre de la Guerre froide c’est un acteur de la Guerre froide.

                Nous nous demanderons donc comment la place de l’Asie dans les relations internationales entre 1945 et 1975 a pu ainsi changer pour passer du statut de théâtre de la Guerre froide à celui d’acteur, et d’acteur de premier plan ?

                L’Asie a été dans un premier temps un théâtre de la « Guerre froide » (I.), elle a tenté ensuite de s’extraire de la guerre froide et de construire des relations internationales dégagées des contraintes de la bipolarisation en soutenant le mouvement des non-alignés (II.) mais elle a été rattrapé comme le reste du monde par la puissance de la dynamique de la Guerre froide et s’est enfin érigée en acteur majeur des relations internationales à travers la Chine, tout en restant profondément divisée par l’antagonisme des deux supergrands (III.).

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                L’Asie a été d’abord dans les relations internationales un champ de bataille, théâtre de la Guerre froide et de la décolonisation. Parce que la décolonisation elle-même a vite perdu son caractère strictement national (« droit d’un peuple à disposer de lui-même ») pour devenir une question internationale, enjeu de la confrontation Est / Ouest.

                L’Asie n’a pas attendu la rupture entre les deux grands pour être le théâtre de l’affrontement entre l’idéologie communiste et le modèle idéologique occidental : les nationalistes de Tchang Kaï – Tchek et les communistes de Mao Zedong s’affrontent depuis les années trente. Si le Parti nationaliste a reçu des armes de Washington, Mao lui en reçoit de Moscou. Leur combat se poursuit avec plus d’âpreté à la fin de la Seconde Guerre mondiale mais l’aide militaire américaine n’évite ni la prise de Pékin (1949) et la proclamation de la République Populaire de Chine RPC) ni le confinement des nationalistes sur l’île de Formose, dernier réduit pro-occidental de Chine. Les deux grands ont d’ailleurs rapidement pris conscience du caractère stratégique de l’Asie : c’est largement pour éviter une invasion massive de la Mandchourie et de la Corée par l’URSS que les Etats – Unis décident d’abréger la guerre en recourant à l’arme atomique. Mais c’est aussi pour éviter une déstabilisation de Tokyo que les conditions de paix avec le Japon et l’occupation sont pensées pour séduire le peuple japonais. Le Parti Communiste Japonais est puissant dans les années cinquante. Pour consacrer cette rivalité idéologique et géostratégique les deux grands passent rapidement des accords avec les Etats souverains de la région du Sud-est asiatique : le Japon, les Philippines (ancienne colonie américaine décolonisée en 1945) et Formose (Future Taïwan) sont des alliés diplomatiques et militaires des Etats-Unis. La Chine, la Corée du Nord, et à partir de 1954 la République du Nord-Vietnam sont des pays communistes alliés de Moscou.

                La rivalité Est / Ouest ne se limite pas comme en Europe à des gesticulations diplomatiques ou militaires plus ou moins aigües : elle prend le caractère de guerres conventionnelles ou de guérillas très meurtrières. C’est le cas de la Guerre d’Indochine (1946 – 1954) mais c’est surtout le cas de la guerre civile en Chine (1945 – 1949) qui voit la victoire des communistes. C’est le cas de la guerre de Corée (1950 – 1953) et de la Guerre du Vietnam (1962 – 1975). Hormis la période 1954 – 1962 marquée par des luttes insurrectionnelles l’Asie de l’Est a été le théâtre permanent de guerres conventionnelles d’envergure de 1945 à 1975 (Chute de Saigon, effondrement du régime proaméricain du Sud Vietnam) voire 1979 (Chute de Phnom Pen et du régime des Khmers rouges de Pol Pot). A la subversion communiste (invasion de la Corée du Sud par la Corée du Nord, guérilla dans le Sud Cambodge, infiltration Vietminh au Laos, infiltration Viêt-Cong au Sud-Vietnam) répondent des interventions militaires américaines. Ces interventions sont toutes menées au nom de la lutte contre l’expansion communiste. Le 27 juin 1950 le président Truman dans une « déclaration sur la Corée et l’Extrême-Orient » justifie ainsi l’entrée en guerre des forces armées américaines en Corée du Sud : « […] le communisme a dépassé le stade de l’emploi de mesures subversives pour conquérir des nations indépendantes, et emploiera maintenant l’invasion armée et la guerre […] » (Document n°1, lignes 8 et 9). Mac Namara, secrétaire à le Défense des Etats-Unis du président démocrate Lyndon Johnson, selon l’article du Monde (en date février 1965) déclare « […] L’enjeu du Vietnam du Sud est de loin plus important que l’abandon d’une petite nation au communisme. Nous pouvons être certains que dès qu’ils auront obtenu le contrôle du Vietnam du Sud les communistes poursuivraient leur campagne subversive au Laos et ensuite en Thaïlande. […] » (Document n°4, lignes 8 à 10). Ces interventions sont soit unilatérales (La protection de la VIIIe flotte basée dans le Pacifique autour de Formose pour protéger l’île d’une invasion chinoise continentale, envoi de conseillers militaires américains au Sud-Vietnam sur l’ordre du président Kennedy, envoi de l’armée américaine y compris des appelés sur l’ordre du président Johnson en 1965) soit multilatérales (intervention militaire américaine en Corée dans le cadre d’une opération des « casques bleus » donc sous mandat de l’Organisation des Nations Unies).

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                C’est sans doute parce l’Asie du Sud et du Sud est marquée si durement par les conflits de la Guerre froide qu’elle s’est engagée aussi vivement dans la constitution du non-alignement. Théâtre des premières décolonisations (1er §) elle voit naître et accompagne le mouvement non-alignée (2ème §) qui doit permettre de sortir de la bipolarisation.

                Théâtre de la guerre froide, l’Asie est aussi le théâtre des premières décolonisations. Au moment où les forces françaises massacrent les manifestants de Sétif (Algérie, 8 mai 1945) et où l’amiral d’Argenlieu fait bombarder la ville de Haiphong, avant port de Hanoï (1946) les premiers Etats sont devenus indépendants. Après l’Irak (1932) ce sont les Philippines (décolonisées en 1945) et les Indes néerlandaises (Devenues l’Indonésie en 1946) qui accèdent à l’indépendance politique. Les décolonisations ne se passent pas bien : elles s’accompagnent de violences qui prennent soit le visage de la guerre civile confessionnelle (Inde, Pakistan) soit celui de la guerre coloniale (Guerre de libération dans les Indes néerlandaises en 1946-1946, guerre d’Indochine 1946-1954). A chaque fois la responsabilité des violences repose en partie (parfois en totalité) sur les métropoles. Dans le Raj indien les autorités britanniques créent deux Etats (Suivants en cela les demandes conjointes de Jinnah de la Ligue musulmane et de Nehru du Parti du Congrès) et n’en dévoilent les frontières absurdes (Pakistan tronçonné en deux, Bengale musulman du Pakistan oriental séparé de sa capitale économique et culturelle Calcutta restée dans l’Union Indienne, statut du Cachemire pensé comme un Etat indépendant mais enclavé et situé à la jonction des deux Etats…) qu’au soir de l’indépendance. Des millions de gens fuient alors les zones dévolues aux tenants de l’autre religion : Hindouistes fuyant le Bengale ou le Sind, Musulmans fuyant le cœur de l’Inde. Les flots de réfugiés harcelés par les fanatiques des deux camps se croisent et souvent se déchirent. La responsabilité de la France dans le déclenchement de la Guerre d’Indochine est plus directe encore : c’est, dans une période de tension certes, le gaulliste Thierry d’Argenlieu qui ordonne le bombardement du port d’Haiphong, causant de très nombreux morts civils, entraînant le divorce entre les communautés européenne du Nord du Vietnam et le Vietminh, et rendant inévitable la guerre. Et ce au mépris des accords trouvés entre Hô-Chi-Minh et le général Leclerc en 1945, accords sanctionnés par le pouvoir politique à Fontainebleau la même année. On le voit l’Asie a été le théâtre de décolonisations violentes, dans lesquelles la responsabilité des métropoles est clairement engagée, ce qui a renforcer la conviction des leaders nationaux que l’Asie devait trouver un modèle original de développement et non suivre un quelconque modèle d’inspiration occidentale.

                Les violences des conflits périphériques de la guerre froide et les violences des guerres coloniales soudent les leaders nationaux asiatiques autour du concept de non-alignement. Le refus de s’aligner sur Moscou comme sur Washington doit permettre d’abord d’éviter les guerres qui résultent en Asie de la « Guerre froide ». Le non-alignement doit permettre aussi de porter une aide aux mouvements de décolonisation, ceux du Maghreb comme ceux d’Afrique sub-saharienne par exemple. Difficile pour les dirigeants d’un nouvel Etat aligné sur l’Occident de condamner à l’ONU les menées de la France en Algérie ! Le non-alignement doit permettre enfin de trouver une voie autonome et originale de développement économique. D’abord parce que les modèles occidentaux apparaissent comme abstraits et coupées des réalités et des exigences nationales. Ensuite parce que la Guerre froide interdit d’adopter en partie un modèle. La chute de Mossadegh en Iran ou l’échec de l’économie socialiste de marché en Hongrie en 1956 montre combien l’alignement sur l’un ou l’autre est absolu et ne souffre aucune entorse au modèle idéologique. Alfred Sauvy en 1952 dans un article de L’Observateur est le premier à voir apparaître ce monde qui n’est comme le Tiers-Etat rien mais qui veut être tout et qui aspire à exister entre Moscou et Washington. Ce troisième monde qui émerge des décolonisations c’est le Tiers-Monde. En 1955 les leaders des mouvements d’indépendance et les dirigeants des plus puissants des Etats émancipés se réunissent à Bandoeng en Indonésie : Nehru, Premier Ministre de l’Union Indienne, Soekarno père de l’indépendance de l’Indonésie, Zhou Enlai, Premier Ministre de la RPC, s’y rencontrent notamment. Le Tiers-Monde va passer à Bandoeng du constat de son existence à sa volonté d’agir : le mouvement des non-alignés sera l’expression politique d’un Tiers-Monde uni. Car l’ambition des initiateurs du mouvement des non-alignés est bien d’unir politiquement et économiquement les Etats nouvellement émancipés afin de transformer l’indépendance politique en indépendance pleine et entière c’est-à-dire en indépendance économique. Nasser, dirigeant égyptien et promoteur de la République Arabe Unie (RAU), Tito, président de la Yougoslavie qui a eu le courage de refuser l’alignement sur Moscou alors que tous ses voisins sont membres du Pacte de Varsovie, et Castro qui vient de renverser le dictateur proaméricain Batista, rejoignent le mouvement des non-alignés. Mais au fur et à mesure que le mouvement adopte de nouveaux membres son non-alignement se dissout dans les réalités géopolitiques : les Etats ne sont pas solidaires les uns des autres (Pakistan et Inde se font la guerre dès l’indépendance comme le Vietnam qui à peine indépendant envahit le Cambodge), les solidarités économiques ne fonctionnent pas (L’Egypte n’a pas d’autres financiers pour le barrage d’Assouan que l’URSS) et les Etats s’alignent idéologiquement soit sur Moscou (Cuba dès 1961) soit sur Washington (Pakistan, Maroc). La crise née des « chocs pétroliers » montre que l’idéologie tiers-mondiste est bien morte : l’enrichissement des pétromonarchies se fera alors sur l’appauvrissement des pays les plus pauvres du Tiers-Monde.

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                Au milieu des années soixante-dix plusieurs Etats – des deux blocs d’ailleurs – constituent des puissances régionales et continentales. L’Asie – à travers eux – devient alors un acteur majeur des relations internationales. Elle est devenue capable de peser sur une partie de son destin et d’en exclure en partie des acteurs allogènes comme les Etats-Unis et l’URSS.

                Cette émancipation partielle de la bipolarisation n’est pas venue du mouvement des non-alignés mais de la spectaculaire montée en puissance économique et militaire d’Etats d’Asie du Sud et du Sud-est : c’est le cas de l’Inde, de la République Populaire de Chine. C’est dans les années soixante-dix et dans une moindre mesure la montée en puissance économique du Japon et des Nouveaux Pays Industrialisés d’Asie (NPIA) : la Corée du Sud, Taïwan, Hong Kong et Singapour, c’est-à-dire des Etats situés le long de la ligne de faille entre le bloc communiste et le bloc pro-occidental. La majorité diplomatique de la RPC vient avec la reconnaissance officielle de l’existence de la RPC par Nixon en 1972. Le virage de la diplomatie américaine s’explique par deux facteurs : la prise en compte de la rupture (1968) entre Moscou et Pékin d’abord. Se rapprocher de Pékin par des mesures diplomatiques et peu coûteuses est un bon moyen d’affaiblir la position de l’URSS, voisine de la RPC. Mais la tutelle économique et militaire exercée par Pékin sur Hanoï explique aussi le revirement américain. Faire un geste de bonne volonté permettrait d’accélérer le processus de paix au Vietnam. Parce que les Etats-Unis ont perdu la guerre au Vietnam et qu’ils ne veulent plus s’y maintenir. Une paix honorable avec Hanoï passe par un retrait digne des forces américaines. Pékin peut obtenir d’Hanoï ce type d’accord. C’est ce que Nixon vient chercher auprès de Mao quand le 22 février 1972 : la normalisation des relations avec Pékin, qui entraîne une prise de distance avec Taïwan, permet l’accélération des pourparlers à Paris entre la République du Nord Vietnam et les Etats-Unis et le départ gradué des forces armées américaines (1972 – 1975). La Chine est devenue une puissance internationale, elle entre au Conseil de sécurité de l’ONU et mène une politique autonome en Asie, renforçant sa pression sur Taïwan et sur littoral (Île Spratly). Elle accueille le président déchu du Cambodge, le prince Sihanouk, et finance le mouvement des Khmers rouges de Pol Pot et Khieu Sampan. Ceux-ci prennent Phnom Pen en 1975, chassant les militaires proaméricains et menant à l’égard du Vietnam réunifié prosoviétique une politique agressive.

                L’Inde représente une autre forme d’émancipation et d’influence dans les relations internationales. Son influence économique est réduite en apparence. Elle n’est pas dans les années soixante-dix ce pays atelier qu’elle est devenue aujourd’hui. Sa puissance militaire s’exerce dans la seule sphère du sous-continent indien : Cachemire, Sri Lanka, Bengladesh et guerre contre le Pakistan. Mais ce n’est pas négligeable. Elle soutien le Pakistan oriental dans sa guerre d’indépendance à l’égard du Pakistan, et en permettant la création du Bengladesh elle espère affaiblir le Pakistan. Chimère qui n’aboutit qu’à coller à l’Inde un Etat hyper pauvre et agressif avec lequel elle dut faire la guerre et dépenser de vastes sommes d’argent pour garder et surveiller la frontière commune. Au Cachemire (de population musulmane mais de souverain Hindou) elle ne réussit qu’à s’emparer de la moitié orientale, et dut là encore dépenser des sommes sans cesse croissantes pour mener des guerres périodes dans les confins de l’Himalaya. Au Sri-Lanka l’Inde soutient dès le milieu des années soixante-dix la rébellion des Tigres tamouls du LTTE. Mais dut débarquer des troupes pour pacifier cette île pauvre qui déstabilisait sa moitié sud. Ses guerres successives contre le Pakistan n’aboutirent qu’à un éternel statut quo ante, mais au prix de morts et d’investissements militaires conséquents. La Chine fut son ennemie dans le Si-Kiang et en retour New Delhi accueilli le Dalaï Lama et ses partisans. La concorde de Bandoeng n’a donc pas duré et Delhi eu sa part de responsabilité. Mais si se dégage en apparence le constat d’un jeu à somme nulle il faut rappeler que dans le même temps l’Inde assurait en liaison avec les universités américaines sa révolution verte qui lui permit de nourrir sa population et … de livrer du blé à l’URSS ! A l’inverse elle reçut une aide technique de Moscou pour assurer l’essor de son industrialisation qu’elle mit ensuite au service des délocalisations de l’Occident ! La plus grande démocratie du Monde (400 millions d’habitants en 1950) réussit le tour de force de stabiliser sa croissance démographique sans réelles mesures soutenues de coercition, au contraire de la Chine. Le Parti du Congrès emmené par Jawaharlal Nehru puis sa fille Indira Gandhi mena une politique de développement de l’industrie lourde d’inspiration socialiste sans se couper de Washington, et pu se payer le luxe de voir son Etat le plus peuplé (Le Bengale) gouverné sans discontinuer par des partis communistes sans se trouver déstabilisé par l’URSS ou la Chine. Le non-alignement ne fut pas véritablement pour New Delhi une voie autonome et originale de développement mais bien un habile jeu de bascule entre des éléments socialistes et des éléments libéraux, Washington et Moscou concourant presque également au développement de ce géant asiatique. Il est vrai que ennemi de la Chine l’Inde avait des attraits aussi bien pour Moscou que pour Washington : la guerre froide ne perdit donc pas ses droits mais New Delhi su en jouer.

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                L’Asie, divisée, diverse et plurielle, eu en même temps plusieurs place dans les relations internationales : théâtre de la guerre froide elle accueillit ses champs de bataille les plus meurtriers. Région matrice des premières décolonisations et mère du mouvement des non-alignés elle chercha une voie originale de développement qu’elle ne trouva pas mais qui la conduisit, en cherchant un équilibre entre les deux supergrands, à jouer puis à se jouer de la guerre froide, recevant les faveurs d’un camp et d’un autre. Cette volonté de donner au Tiers-Monde une unité politique puis son émancipation partielle des logiques de la guerre froide aboutit au milieu des années soixante-dix à l’émergence de deux géants asiatique : l’Inde et la Chine. Cela ne doit pas faire oublier cependant que la majeure partie de l’Asie du Sud et de Sud-est restait strictement inféodée à un camp ou à un autre. Mais le développement du Japon et des NPIA-1 jouant aussi sur un fort dirigisme d’Etat et une adoption graduée des règles libérales permet de voir que les choix indiens étaient suivis pour de nouveaux Etats qui allaient s’affirmer dans les années quatre-vingt (Japon) et quatre-vingt-dix (NPIA-1).

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L’Asie dans les relations internationales

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