Tale – HISTOIRE (32), La remise en cause du projet européen et l’euroscepticisme. 

Tale – HISTOIRE (32), La remise en cause du projet européen et l’euroscepticisme. 

                                La « crise des dettes souveraines » (2009) initiée à la suite de la crise américaine des subprimes (2008) a entraîné l’Union Européenne (UE) dans une crise qui menace ses fondements institutionnels. Quelles sont les limites de la construction européenne révélées par la crise de la zone Euro ?

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                La « crise des dettes souveraines » cristallise les critiques des Européens, certains trouvant les règles de stabilité financière trop contraignantes, les autres reprochant à l’UE sont manque de fédéralisme monétaire et souhaitent accorder plus de pouvoirs aux instances de régulation économiques, notamment la Banque Centrale Européenne (BCE) basée à Francfort (1998). L’adoption de la monnaie unique, l’Euro (€, 19 membres mais son rejet par le Danemark, la Suède et la Grande Bretagne) a entraîné une harmonisation des politiques financières publiques, ce qu’on appelle « les critères de convergence » : une inflation maîtrisée à moins de 2%, une dette publique inférieure à 60% du PIB et un déficit public inférieur à 3% du PIB. Même si pour les États de l’arc atlantique (Irlande, France, Portugal) et méditerranéen (Espagne, Italie, Grèce), les pays en Procédure de Dette Excessive (PDE, 2011), ces critères ne sont plus respectés, ils restent inspirateurs de politiques publiques dites d’austérité, entraînant un retrait de l’État et donc un abandon de certaines politiques publiques. Passée dans un premier temps sous le masque de la décentralisation, avec pour corollaire une explosion des impôts locaux et de l’endettement des collectivités territoriales dans toute l’Europe, la rigueur budgétaire passe maintenant par des politiques d’économies drastiques. Dans ce domaine, l’UE via la BCE pour les États de la zone €, via les critères de convergence pour les candidats à l’entrée dans la zone €, via les subventions communautaires pour les autres, pilote la politique économique des États membres. La crise des dettes des États périphériques (Irlande, Portugal, Espagne et Grèce) n’étant pas due seulement à un déficit budgétaire, l’UE a imposé de nouveaux critères : dette privée inférieure à 160% du PIB, hausse des prix immobiliers inférieure à 6% par an, hausse annuelle des salaires inférieure à 9% et ce afin d’éviter la surchauffe économique privée. Or nombre d’Européens considèrent que le processus de gouvernance de l’UE n’est pas démocratique : le Parlement européen a peu de pouvoir, les commissaires sont nommés par les exécutifs nationaux et non élus par les parlementaires, les traités européens, une fois approuvés, au contraire des lois nationales qui peuvent toujours être révisées, sont définitifs. Jamais la défiance à l’égard de la politique libérale de l’UE ne s’est autant manifestée que durant la crise grecque : Syriza a gagné les élections (2015) sur la promesse de faire abandonner à l’UE ses mesures de rigueur budgétaires. Certains reprochent la domination flamande et germanique sur les institutions : Jean-Claude JUNCKER (Luxembourgeois), a été président de la Commission européenne, Martin SCHULZ (Allemand), fut le président du Parlement européen, Donald TUSK (Polonais de Gdansk, ancienne Prusse), a été l’ancien président du Conseil européen, Jeroen DIJSSELBLOEM (Néerlandais), fut président de l’Eurogroupe… Pourtant, la politique économique et monétaire de l’UE résulte plus d’un consensus libéral des élites administratives et politiques en Europe que d’une prise en otage des peuples par les fonctionnaires européens : exceptée la BCE qui bénéficie de par son statut d’une relative autonomie, la seule politique économique globale de l’UE se décide au sein du Conseil européen (Chefs d’États et de gouvernement) et du Conseil de l’Union (Conseil des ministres). Il n’y a pas encore de ministère de l’économie européen.

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                Si la gouvernance économique de l’UE, souvent dénoncée comme trop libérale, trop rigoriste budgétairement et trop inféodée au géant allemand, soulève en effet un certain nombre d’interrogations, c’est le projet européen lui-même qui est critiqué : quelles sont les finalités du projet européen aujourd’hui ? Par bien des aspects, les critiques sur l’orientation libérale de l’Union découlent du vide d’ambition politique de l’Europe. Quel est le projet européen aujourd’hui ? En dépits des efforts constants de communication de l’UE, le projet européen souffre d’une désaffection croissante de la part des citoyens européens. Le taux d’abstention aux élections européennes le montre nettement : s’ils étaient 62% à se déplacer en 1979 lors de la 1ère élection au suffrage universel du Parlement européen, ils n’étaient plus que 43% en 2009 et en 2014. Une majorité (47%) des citoyens européens ne s’étant pas déplacée.  Le divorce entre des élites politiques qui ratifient systématiquement les traités européens, et les peuples qui les refusent par référendum tout aussi systématiquement est inquiétant : l’Europe est de plus en plus perçue comme la source de tous les maux sociétaux (Responsable via la libre circulation des personnes de favoriser l’immigration illégale) et économiques (Responsable via la politique libérale de la paupérisation des classes moyennes). À tel point que les partis qui connaissent les plus fortes croissances électorales (Syriza d’Alexis TSIPRAS en Grèce, UKIP de Nigel FARAGE en Grande-Bretagne, Front National de Marine LE PEN en France, Podemos de Pablo IGESIAS en Espagne) ont comme point commun d’être anti-européens ! Quant au Parti Conservateur des Tories de Davis CAMERON, il n’a gagné les législatives au Royaume Uni que sur la promesse d’organiser un référendum sur le sortie de la Grande Bretagne de l’UE avant 2017, ce qu’on nomme maintenant le « Brexit » (British Exit). L’Europe manque par ailleurs de visibilité dans l’action : elle débloque des moyens pour accueillir les migrants clandestins mais ne définit pas de stratégie vis-à-vis de la Libye, carrefour migratoire intercontinental, elle sauve les banques européennes (2009-2011) mais laisse la pauvreté croître en asphyxiant la croissance par des politiques d’austérité budgétaire, elle condamne l’agression russe en Ukraine mais n’envoie pas de troupes, car elle ne dispose d’aucune force armée. Même si l’UE doit endosser le désamour des Européens pour leurs propres classes dirigeantes et même si les fonctionnaires européens et les eurodéputés font un travail magnifique (Poursuites pour atteinte à la concurrence contre Google dans le domaine des Technologies de l’Information et de la Communication, TIC, et contre Gazprom dans le domaine de l’énergie), la construction européenne aujourd’hui n’est plus capable de proposer de projets et se contente d’aligner des bilans. Il n’y a plus d’ambition européenne autre que quantitative : plus de membres, plus de directives, plus de compétences dévolues à l’Union, mais pour quoi faire ? Par ailleurs, une partie de l’opinion publique européenne ne se reconnaît pas dans les élites européennes de plus en plus autistes : les préoccupations des eurocrates semblent bien éloignées des préoccupations quotidiennes des Européens, l’UE flotte entre pas assez d’ambition de long terme et pas assez de soucis du quotidien. Enfin, les Européens sont de plus en plus clivés politiquement : nationalisme à l’Est, défiance vis-à-vis des États du Sud au centre et au Nord, méfiance à l’égard des eurocrates dans l’arc méditerranéen, euroscepticisme partout. La formule d’une « Europe à géométrie variable », censée définir une Europe où chaque peuple pourrait rejoindre les mécanismes de son choix, cache mal la transformation du projet européen en un vaste marché unique sans prétention autre que commerciale. Comment convaincre les Européens de faire des sacrifices pour une épicerie ?

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                Existe-t-il encore une chance pour réconcilier les Européens avec le projet européens ? Les efforts entreprises par Emmanuel MACRON en vue de constituer une Europe fédérale, notamment via la création d’une Europe solidaire de la dette, celles d’Angela MERKEL, à contre courant de sa famille politique conservatrice, pour accueillir les migrants (Crise des migrants, 2011) n’ont pas encore abouti. La défiance des peuples à l’égard de leurs élites s’est aggravée : en témoigne par exemple les manifestations en France pendant plusieurs mois (2018-2019) des « Gilets jaunes », dernier avatar d’un populisme des campagnes et de la Province contre le pouvoir central, 70 ans après le Poujadisme… Cette défiance des peuples contre leurs dirigeants se transforme aussi en plébiscite des dirigeants les plus eurosceptiques : les élections gagnées par Boris JOHNSON, Premier Ministre et partisan d’un hard Brexit, en Grande-Bretagne, l’appui relatif dont bénéficie Viktor ORBAN en Hongrie, sont autant de témoins d’une désaffection croissante des citoyens vis-à-vis du projet européen. Cette désaffection entraîne une perte de crédibilité de l’UE sur la scène internationale : l’abandon de la part de la Turquie, le château d’eau du Proche et du Moyen Orient, dans les années 2 000’ de toute velléité d’entrer dans l’Union reste comme une formidable occasion manquée. Et l’action de la Turquie en Lybie aux côtés du gouvernement d’union nationale de Tripoli montre ses capacités fortes sur la scène internationale : son duopôle ambigüe en Syrie manifeste a contrario la perte d’influence de l’UE. Certains signaux permettent d’espérer un regain d’intérêt des Europe pour le projet européen. D’une part, le Brexit a déconsidéré tous les discours politique de sortie de l’Union aussi bien en France qu’en Italie où une majorité centriste s’est de nouveau dessinée. La crise économique et financière consécutive à l’épidémie du COVID-19 due au SARS-COV 2 est-elle une opportunité pour l’UE de se réinventer et de renouer avec l’opinion publique européenne ? La mise en place des Eurobonds, solidarité des États riches avec les autres, le laisse penser.

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                                Magnifique projet, réalisation unique au monde et spectaculaire, la construction européenne a donné au monde l’association régionale d’États la plus aboutie et la plus ambitieuse, la plus complexe et la plus fragile aussi. Aujourd’hui, alors que l’UE a montré ses capacités d’adaptation lors du pilotage des crises des dettes souveraines et des faillites bancaires à répétition dans les États périphériques, elle semble manquer de l’essentiel, l’adhésion populaire. Cela s’explique par le fait que la gouvernance européenne aujourd’hui manque d’un cap, et d’une route : les peuples ne savent plus ni vers où l’Europe se dirige, ni comment elle va y aller.

© Souleymane ALI YÉRO, Erwan BERTHO & Ronan KOSSOU (2015, 2020)

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