HISTORIOGRAPHIE – SEIGNOBOS & LANGLOIS, Introduction aux études historiques. (3/3), 1898

ÉPISTÉMOLOGIE DE L’HISTOIRE

Charles-Victor LANGLOIS et Charles SEIGNOBOS, Introduction aux études historiques. , 1898

« On conserve docilement la couleur de la tradition. »

« […] on ne peut conserver tous les actes de tous les membres d’une assemblée ou de tous les fonctionnaires d’un État. Il faut sacrifier beaucoup d’individus et beaucoup de faits.

Comment faire le choix ? Les goûts personnels ou le patriotisme peuvent créer des préférences pour des personnages sympathiques ou des événements locaux ; mais le seul principe de choix qui puisse être commun à tous les historiens c’est le rôle joué dans l’évolution des choses humaines. On doit conserver les personnages et les événements qui ont agi visiblement sur la marche de l’évolution. Le signe pour les reconnaître est qu’on ne peut exposer l’évolution sans parler d’eux. — Ce sont les hommes qui ont modifié l’état d’une société soit comme créateurs ou initiateurs d’une habitude (artistes, savants, inventeurs, fondateurs, apôtres), soit comme directeurs d’un mouvement, chefs d’États, de partis, d’armées. — Ce sont les événements qui ont amené un changement dans les habitudes ou l’état des sociétés.

Pour construire la formule descriptive d’un personnage historique il faut choisir des traits dans sa biographie et dans ses habitudes. Dans sa biographie on prendra les faits qui ont déterminé sa carrière, formé ses habitudes, et amené les actes par lesquels il a agi sur la société. [221] […] Il ne faut pas construire le caractère avec les déclarations du personnage sur lui-même. [222] […] La valeur de notre connaissance dépend de la valeur de nos documents. [228] […] La tendance naturelle est de négliger dans la construction les résultats de la critique, d’oublier ce qu’il y a d’incomplet ou de douteux dans notre connaissance. Un désir puissant d’accroître le plus possible la masse de nos renseignements et de nos conclusions nous pousse à nous délivrer de toutes les restrictions négatives. Le risque est donc grand de nous former avec des renseignements fragmentaires et suspects une impression d’ensemble comme si nous possédions un tableau complet. — On oublie facilement l’existence des faits que les documents ne décrivent pas (les faits économiques, les esclaves dans l’antiquité) ; on s’exagère la place tenue par les faits connus (l’art grec, les inscriptions romaines, les couvents du moyen âge). Instinctivement, on apprécie l’importance des faits à la quantité des documents qui en parlent. — On oublie la nature particulière des documents, et, lorsqu’ils sont tous de même provenance, on oublie qu’ils ont fait subir aux faits la même déformation et que leur communauté d’origine rend le contrôle impossible ; on conserve docilement la couleur de la tradition (romaine, orthodoxe, aristocratique). [228] […] »

LANGLOIS (Charles-Victor) et SEIGNOBOS (Charles), Introductions aux études historiques. , 1898, Paris, aux éditions Hachette, 131 pages, 1992, Paris, aux éditions Kimé, 284 pages. Les nombre entre crochets renvois aux pages de l’édition originale. Version numérisée par Pierre PALPANT, sélection des passages réalisée par Erwan BERTHO.

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