Étude critique d’un document d’Histoire – Athéna préside au tirage au sort des magistratures
Au Ve siècle avant l’ère commune, entre les victoires contre les Perses de Marathon (-490) et de Salamine (-480) et la mort de Socrate (-399), la Cité des Athéniens connaît un âge d’or, marqué notamment par l’apogée de son système démocratique. Si le « demos » (Le peuple) est largement associé au pouvoir, les luttes politiques entre philosophes et démagogues, avec en toile de fond la rivalité des grandes familles aristocratiques, sont rudes.
Dans quelles mesures peut-on affirmer que ce décor d’une coupe attique permet de comprendre le fonctionnement de la démocratie athénienne au Ve siècle ?
Le décor de cette coupe attique permet de comprendre le fonctionnement de la démocratie athénienne (I.) et plus particulièrement le curieux système du tirage au sort dans une démocratie fortement marquée par le fait religieux (II.) et les luttes politiques souvent fratricides (III.).
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Le décor de cette coupe attique du Ve siècle avant l’ère commune et qui est donc contemporain de l’apogée d’Athènes montre d’abord une partie du fonctionnement de la démocratie athénienne et notamment le curieux système du tirage au sort.
Le décor montre sur la droite une procession d’hommes : ce décor appelé « à figures rouges » permet de montrer avec finesse les plis des chlamydes, cet ancêtre simplifié et grec de la toge romaine. Les hommes sont représentés de profil conformément à la tradition picturale classique, barbus comme il sied aux hommes matures, chefs de famille en âge de prendre des décisions raisonnées. On voit du premier homme à gauche qu’il a les cheveux tressés comme c’est la mode à l’âge classique. Au centre, sous le patronage d’Athéna, la table de pierre sur laquelle les hommes viennent prendre le jeton qui leur conférera peut-être la magistrature.
Le système politique athénien est en effet réservé aux hommes de plus de 18 ans ayant accompli l’éphébie, le service militaire d’une durée de deux ans. Sont donc citoyens tous les hommes de 20 ans capables de combattre. Nés de père et de mère athéniens, en âge de porter les armes, les citoyens sont moins de 40 000 sur une population de près d’un demi million d’habitants ; esclaves, étrangers et femmes sont exclus de l’exercice de la politique. Ceux-ci sont électeurs et éligibles, mais surtout susceptibles d’être tirés au sort soit pour devenir juge (Héliastes) soit pour devenir bouleutes (Permanent de l’Ecclésia, l’assemblée des citoyens). Cependant, derrière cette égalité absolue qu’offre le tirage au sort, nombre de magistrature restent l’apanage d’une caste aisée : c’est le cas de la stratégie (Gouvernement) et des Archontes (Juges religieux).
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Le décor de cette coupe attique montre également le poids du fait religieux dans le fonctionnement de la démocratie athénienne au Ve siècle avant l’ère commune.
Athéna, reconnaissable à son égide sur lequel trône le masque de la Gorgone Méduse, son heaume d’hoplite et son peplos (manteau des jeunes filles) est représentée de profil, d’une main arrêtant un homme armé, de l’autre ouvrant ses bras à des citoyens prenant les jetons du tirage au sort. Fille de Zeus (Père de l’Olympe) et de Métys (La déesse de la ruse qui inspire Ulysse), Athéna, déesse éponyme d’Athènes, est la protectrice de la Cité des Athéniens à qui elle a offert l’olivier. En échange les Athéniens lui vouent un culte spécifique qui participe du fonctionnement même de la démocratie.
Sur l’Acropole d’Athènes, antique cité devenue lieu consacré, se dresse le Parthénon, temple de la déesse Athéna, la jeune fille (Parthenos). La statue chryséléphantine qui s’y dresse est revêtue d’un nouveau manteau (Peplos) tissé par les jeunes aristocrates d’Athènes tous les quatre ans lors des « Grandes panathénées ». La procession qui part du Keramikos entraîne l’ensemble des habitants rangés par ordre protocolaire jusqu’à l’Acropole. S’y dresse aussi l’olivier sacré au pied de l’Erechthéion, le plus ancien temple de la Cité célèbre pour ses statues de jeunes filles portant le linteau du temple, les Caryatides. En échange de ce culte fervent, la déesse vierge protège la démocratie athénienne.
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Le décor de cette coupe attique permet aussi de mettre en lumière le climat de violence politique sourde qui traverse la vie de la démocratie athénienne au Ve siècle avant l’ère commune.
On voit à gauche un homme armé d’une lance s’avancer vers le lieu du tirage au sort. Athéna l’arrête car elle protège la démocratie. C’est la croyance populaire des Athéniens, qu’Athéna, déesse protectrice d’Athènes, sonde les cœur des citoyens et sait en détecter la pureté derrière l’obscurité de leur condition…
Si l’image peut avoir un premier sens qui justifie l’usage du tirage au sort pour les magistratures (Athéna sonde le cœur des hommes quel que puisse être surprenant ses choix elle fait toujours un choix juste), la scène rappelle qu’Athènes est une démocratie tiraillée par des luttes intestines fortes. Les aristocrates qui détiennent le monopole des magistratures prestigieuses (Stratégie, archontat) incitent à un virage plus conservateur et restrictif de la démocratie. La proximité de Périclès avec les philosophes, comme Socrate qui moque le gouvernement des ignorants, est connue. Face à eux, les démagogues, favorables à une plus juste ouverture aux pauvres. La ruine d’Athènes entraîne l’arrivée au pouvoir d’une caste dirigeante pro-spartiate issue de l’aristocratie athénienne. La peur des coups d’État qui amènent l’arrivée au pouvoir de tyrans reste vive. Mais les riches possèdent dans le système démocratique basée sur le discours et l’oralité une arme que les pauvres ne possèdent pas : l’art de la rhétorique acquis auprès de maîtres coûteux, les sophistes, et qui permet à l’aristocratie de dominer la vie politique athénienne.
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Le décor de cette coupe attique présente un intérêt historique très fort dans la mesure où il permet deux niveaux de lecture. D’une part on peut y voir la justification du système du tirage au sort de magistratures intermédiaires mais stratégiques comme les bouleutes ou les héliastes. D’autre part on peut y voir la crainte toujours vive au sein du demos de voir le système démocratique subverti par des coups de force venus des démagogues ou des aristocrates.
© Erwan BERTHO (Novembre 2018, révision 2019)
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