« Connais-tu les albinos ? »
« […] Je m’appelle Kuna, j’ai dix ans et je suis un petit garçon bien seul, comme la plupart de mes « frères » de même peau d’ailleurs. Je suis issu d’une famille de six enfants, mais j’ai une particularité : je suis albinos alors que papa, maman et mes frères sont tous noirs.
Grand-mère Asta dit que lorsque maman était enceinte, elle rêvait très souvent d’un gros bouquet de fleurs toutes rouges avec une seule et petite fleur toute blanche. C’est à partir de ce moment-là qu’elle a su que l’enfant de maman serait albinos.
Je ne me sens bien qu’à la maison car dès que je sors tout le monde me regarde comme si j’étais une curiosité !
Les enfants du village refusant de s’amuser avec moi, je courais me réfugier chez grand-mère Asta jusqu’à ce que j’entre à mon tour à l’école.
Je n’ai jamais été heureux de prendre le chemin de l’école. Pendant les deux premières années, aucun élève ne voulut m’accepter comme voisin, et, pendant la récréation, je courais dans tous les sens à la recherche de mes frères.
J’ai fini par suivre les conseils de mon père :
« Kuna mon fils, ne gaspille plus ton énergie à vouloir coûte que coûte des amis. »
C’est avec des yeux grands ouverts que je regarde mon père : je ne le comprends pas ! Je m’attendais à un autre discours de sa part.
« Mais papa… »
Sans me laisser achever ma phrase, il me demande de le suivre sous le gros arbre devenu le confident de toute notre famille. Assis confortablement au creux des grosses racines de notre arbre, papa prend la parole :
« Mon petit Kuna, je sais que tu as été surpris de m’entendre tout à l’heure. Je n’ai pas changé. Je vous ai toujours demandé d’avoir beaucoup d’amour pour votre prochain et je le répète aujourd’hui. Mais je ne veux pas que tu perdes de vue que tu vas à l’école pour apprendre. Si tu réussis à force de travail à être le meilleur élève de ta classe, tu auras tous les amis que tu voudras parce que tous les autres seront fiers d’être proches du premier. Écoute-moi bien, mon fils. Le savoir est la clé du bonheur : choisis- le comme ton meilleur ami et jamais il ne te trahira. Il te hissera au sommet de la société. Ne l’oublie jamais.
– Mais papa, peut-on vivre sans ami ?
– Je ne t’interdis pas d’avoir des amis, mon fils. »
Décidément, je ne comprends plus rien à ce que mon petit papa me raconte.
Mais je suis sûr d’une chose : il veut me voir heureux. Quant à moi, je décide de suivre ces conseils : étudier et être parmi les meilleurs élèves de mon école.
Voilà le début de ma nouvelle vie !
Connais-tu les albinos ?
Nous avons la peau et les cheveux jaunes avec des yeux très clairs qui ne supportent pas la lumière. Pour le reste, nous sommes comme toi. […] »
KODJO (Éliane), L’enfant de la lune. , 2008, Paris, nouvelles issue d’Enfances. Neuf écrivains racontent ou inventent un souvenir d’enfance. , recueil présenté par Jennifer WEINER et préfacé par MABANCKOU, éditions Pocket, collection « Nouvelles voix », 152 pages, pages 59 à 61.
ISBN 978-2266173568