FICHES DE LECTURE – Peter WOHLLEBEN, « La Vie secrète des arbres. » (2015-2017)

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Peter WOHLLEBEN, La vie secrète des arbres. , Munich, Allemagne, 2015

« Les arbres ont-ils un comportement social ? »

FICHE TECHNIQUE

WOHLLEBEN (Peter), La vie secrète des arbres. Ce qu’ils ressentent. Comment ils communiquent. Un monde inconnu s’ouvre à nous. , 2015, Munich, Allemagne, aux éditions Ludwig Verlag (2015, Munich, RFA), une division de Verlagsgruppe Random House GmbH (Munich, RFA), traduit par Corinne TESCA pour les éditions Les Arènes (2017). ISBN 978-2-35204-953-9.

L’AUTEUR

Né en 1964 à Bonn, alors capitale de la République Fédérale d’Allemagne (RFA), Peter WOHLLEBEN fait ses études d’ingénieur forestier à l’université des sciences forestières de Rottenburg (Bade-Wurtemberg, 1983-1987) : c’est là qu’on lui enseigne les techniques de gestion rationnelle d’une forêt destinée à l’industrie agro-forestière.  Pendant 20 ans il travaille comme fonctionnaire de l’Office forestier du Land de Rhénanie-Palatinat, d’abord comme chef de bureau (1987-1991) puis comme responsable d’une forêt en tant que technicien supérieur forestier. Il s’installe alors à Hümmel, près de Cologne, dans le massif schisteux de l’Eifel (1991-2006). Il innove en proposant des stages de vie en forêt, des séjours en cabanes de rondins, et transforme une partie de son district forestier en forêt funéraire (2002). Si ces expériences sont des succès financiers, les responsables de l’Office forestier de Rhénanie s’opposent à une gestion de la forêt qui s’éloigne trop des standards économiques classiques. En 2006 il démissionne et passe au service de la commune de Hümmel séduite par ses orientations écologiques et ses succès financiers. Dès 2008 le district forestier de Hümmel qui bannit les produits phytosanitaires, effectue le débardage du bois avec des chevaux et refuse les coupes rases des arbres devient bénéficiaire : les communes de Wershofen et de Ohlenhard emboîtent le pas à la commune de Hümmel pour former un district forestier éco-responsable de 1 200 hectares labellisé FSC. Auteur d’un grand nombre d’articles, dans des revues professionnelles, et de livres, c’est La Vie secrète des arbres (Das geheime Leben der Bäume. Was sie fühlen, wie sie kommunizieren – die Entdeckung einer verborgenen Welt, 2015) qui le propulse au rang de « forestier le plus connu du monde » : son ouvrage, traduit en 32 langues, s’est vendu à plus de 650 000 exemplaires en Allemagne.

LE LIVRE

Jusqu’où peut-on considérer les arbres comme des êtres vivants ? Pour Peter WOHLLEBEN, la distinction entre végétal et animal devient floue tant le mutualisme est poussé à son paroxysme dans l’univers d’une forêt, que Peter WOHLLEBEN considère comme un « super-organisme » à l’instar des fourmilières.

Si la frontière entre animal et végétal devient plus floue, et pour les champignons elle l’est assurément, jusqu’où peut-on aller dans la reconnaissance d’une sensibilité aux arbres : parlent-ils ? Vivent-ils en sociétés ? Ressentent-ils de la souffrance quand on les abat ? Comment organisent-ils ce formidable équilibre entre croissance et longévité ? Peter WOHLLEBEN s’amuse avec des questions aussi iconoclastes et polémiques mais aussi avec des questions plus basiques (Comment les arbres fabriquent-ils du vert ?) ou plus étranges (Comment les arbres savent-ils que le Printemps est arrivé ?).

Ces questions ne visent pas seulement à bouleverser nos idées reçues sur les arbres et leurs forêts mais aussi à initier une véritable démarche expérimentale : Peter WOHLLEBEN part, dans chacun de ses courts chapitres (Trois à quatre pages à chaque fois), d’une question simple en apparence, émet une hypothèse de travail, parfois audacieuse, puis illustre sa réponse par des observations sur le terrain, la généralise avec des relations de travaux scientifiques et termine sur les débats au sein de la communauté scientifique avant d’écrire quelques paragraphes de nature plus philosophique et politique sur notre rapport sociétal au monde du vivant et des végétaux.

Il s’agit donc d’une démarche expérimentale pour déboucher sur une interrogation éthique et philosophique. Peter WOHLLEBEN est un acteur de la transformation écologique de nos sociétés, dans une Allemagne ou les Grünen sont au pouvoir dans nombre de Länder et totalisent 20% des voix aux élections européennes de 2019.

Ses questionnements sont donc indiscutablement politiquement orientés : les chapitres « Amitiés », « Tous solidaires », « Éloge de la lenteur », ou « Échange de bon procédés » sont clairement des leçons de vie dont l’auteur pense qu’elles devraient aussi inspirer les sociétés humaines.

Le risque d’anthropomorphisme est réel et l’auteur en est conscient, qui souligne ce qui relève du savoir scientifique et ce qui relève de ses propres interrogations et de ses propres hypothèses. Les chapitres d’introduction sur le système racinaire et sur le mutualisme sont particulièrement impressionnants. Les recherches françaises (Cf., Francis MARTIN et le laboratoire d’excellence Labex Arbres de l’Université de Nancy, 2012) sur le rôle des champignons dans le développement et la protection du système racinaire des arbres, et partant de leur bonne santé et de leur longévité, valident aujourd’hui a posteriori des hypothèses émises dans le livre de Peter WOHLLEBEN.

Foin d’anthropomorphisme donc, ou d’admiration béate : Peter WOHLLEBEN insiste d’ailleurs sur la rudesse d’un monde forestier où le hasard (Où les graines vont-elles tomber, atterrir quand elles sont dotées d’ailettes, être déposées quand elles sont transportées par les rongeurs ou les oiseaux ?) joue un rôle de premier plan et où la « loi de la nature » impose la mort parfois précoce d’un arbre malade ou qui, au contraire, a grandi trop vite. Car le monde de la forêt est celui de la logique collective qui condamne les originaux ou les marginaux à être rattrapés par les lois de la sélection naturelle. Il n’y a pas d’assurance sociale chez les arbres, ni d’échappatoire.

Ce monde rude est aussi celui d’une autre temporalité : un arbre devient mature après 250 années de croissance, certaines souches d’épicéas ont nourri des arbustes au ras du sol pendant … 9 550 ans ! Ce temps n’est pas le nôtre. Ces lois ne sont pas les nôtres. Ce n’est donc pas à une imitation que nous convie Peter WOHLLEBEN, mais à une compréhension. C’est-à-dire à la construction d’un juste milieu entre d’une part les sociétés humaines qui dépendent des forêts pour leur rôle dans la préservation d’une exceptionnelle biodiversité, des arbres pour le bois de chauffe ou l’ameublement, et d’autre part les écosystèmes forestiers. Des forêts qui ne sont plus depuis longtemps des forêts primaires mais qui sont capables de se reconstituer et de reconstituer rapidement de la biodiversité, si on leur en laisse le temps et les moyens.

Et c’est sans doute là la principale originalité et la force majeure de ce livre : nous inviter à voir les arbres et leurs forêts sous le jour nouveau d’un monde structuré, vivant au même titre que le seul règne animal qui nous est plus familier sans doute. Un monde végétal autant qu’animal, cette forêt dont nous dépendons, tant les interrelations qui unissent les arbres et les animaux qui les entourent et en vivent sont denses. La forêt apparaît alors, à la lecture du livre de Peter WOHLLEBEN, comme un monde actif et non plus comme un simple objet du paysage. Peut-être le livre ne ravira que les néophytes et les non-spécialistes, peut-être que les professionnels du secteur connaissent tous ces trucs et toutes ces astuces de mutualisme et d’équilibre magnifique de la vie végétale et animale en forêt. Mais Peter WOHLLEBEN sait nous conter la forêt sous un jour nouveau, plus audacieux, plus engagé et plus polémique aussi, car le libre a soulevé nombre de controverses, et ce en Allemagne d’abord.

Un documentaire, L’intelligence des arbres (Jupiter films, 45 minutes, 2017), est réalisé autour du livre par Julia DORDEL et Guido TÖLKE qui soulève les mêmes polémiques que le livre mais anime de nombreux débats publics avec des scientifiques reconnus sur la question. Notre société est-elle devenue « Dingue des arbres » ? comme l’écrit Meriem FOURNIER, directrice du campus de Nancy d’AgroParisTech dédié à la formation supérieure forestière.

LOGO FOREST STEWARDSHIP COUNCIL

Écosociolabel environnemental allemand (Oaxaca, Mexique 1993-2003, Bonn, RFA, 2003) des acteurs de la filière bois (Forestiers, industriels), de l’ONU et des Ong comme WWF. La fondation FSC élabore des référentiels de certification dans les domaine de la gestion forestière et de la traçabilité des produits du bois.

© Souleymane ALI YÉRO, Ronan KOSSOU & Erwan BERTHO (2019).

L’EXTRAIT N°1

« Les forêts sont des superorganismes. »

« […] Amitiés

IL Y A LONGTEMPS DE CELA, ALORS QUE JE PARCOURAIS l’une des anciennes réserves de hêtres de mon district, de curieuses pierres moussues ont attiré mon attention. J’étais passé maintes fois à côté sans les remarquer, jusqu’à ce jour où je me suis arrêté et accroupi. Leur forme, en léger arc de cercle, était peu ordinaire. En soulevant un peu la mousse, je mis au jour de l’écorce. Ce que je croyais être des pierres était en fait du vieux bois. Le bois de hêtre pourrissant habituellement en l’espace de quelques années sur un sol humide, la dureté du morceau que j’examinais m’étonna. Surtout, je ne pouvais pas le soulever, il était solidement ancré dans le sol. Je grattai un petit morceau de cette écorce avec un canif et découvris une couche verte. Verte ? Cette couleur n’apparaît que lorsqu’il y a présence de chlorophylle, soit dans les feuilles vertes, soit stockée sous forme de réserve dans les troncs des arbres vivants. Une seule explication était possible : ce morceau de bois n’était pas mort ! À y regarder de plus près, les autres « pierres » n’étaient pas disposées au hasard, mais formaient un cercle de 1,50 mètre de diamètre. Je me trouvais en présence des très anciens vestiges d’une immense souche d’arbre. Il ne subsistait que quelques fragments de ce qui avait jadis été l’écorce tandis que l’intérieur s’était depuis longtemps décomposé et transformé en humus, deux indices qui permettaient de conclure que l’arbre avait dû être coupé entre 400 et 500 ans auparavant. Mais comment était-il possible que des vestiges survivent aussi longtemps ? Les cellules se nourrissent de sucres, elles doivent respirer, se développer, ne serait-ce qu’un minimum. Or, sans feuilles, donc sans photosynthèse, c’est impossible. Aucun des êtres vivants de notre planète ne résiste à une privation de nourriture de plusieurs centaines d’années, et cela vaut aussi pour les vestiges d’arbres, du moins pour les souches qui ne peuvent compter que sur elles-mêmes. À l’évidence, ce n’était pas le cas de celle-ci.

                Elle bénéficiait de l’aide que les arbres voisins lui apportaient par l’intermédiaire des racines. La transmission des substances nutritives s’effectue soit de façon diffuse par le réseau de champignons qui enveloppe les pointes des racines et contribue aux échanges, soit par un lien racinaire direct. Je ne pouvais savoir quelle forme de transmission était ici à l’œuvre, car je ne voulais pas causer des dommages à cette vénérable souche en fouillant le sol. Mais une chose était sûre : les hêtres environnants lui diffusaient une solution de sucre pour la maintenir en vie.

                On peut observer cette association des arbres par leurs racines au bord des chemins, là où la pluie a lessivé la terre des talus et mis au jour les systèmes racinaires. Des scientifiques ont constaté, dans le massif forestier du Harz*, en Allemagne, que la plupart des individus d’une même espèce et d’un même peuplement sont reliés entre eux par un véritable réseau. L’échange de substances nutritives et l’intervention des arbres voisins en cas de besoin seraient la norme. Il apparaît ainsi que les forêts sont des superorganismes, des organisations structurées comme le sont par exemples les fourmilières.

                Il est légitime de se demander si les racines des arbres ne se développent pas au hasard dans le sol et ne s’associent pas simplement avec des congénères rencontrés sur le chemin. L’échange des substances nutritives se serait pas intentionnel et la structure en communauté sociale serait un leurre, puisque seules des transmissions fortuites seraient à l’œuvre. La belle image d’entraide active céderait la place à la loi du hasard, qui serait toutefois également d’intérêt pour l’écosystème forestier.

Le fonctionnement de la nature n’est pas aussi simple : les végétaux, par conséquent les arbres, sont parfaitement capables de distinguer leurs racines de celles d’espèces différentes et même de celles d’autres individus de la même espèce. […] »

* Massif montagneux du nord de l’Allemagne s’étendant sur les trois länder de Basse-Saxe, Saxe-Anhalt et Thuringe.

WOHLLEBEN (2015, trad. 2017), pages 13 et passim. Retrouvez cette fiche sur hglycee.fr/bibliothèque virtuelle. © Souleymane ALI YÉRO, Ronan KOSSOU & Erwan BERTHO (2019).

L’EXTRAIT N°2

« L’étonnant comportement d’une espèce d’acacia. »

« […] Le langage des arbres

D’APRÈS LE DICTIONNAIRE, LE LANGAGE EST LA CAPACITÉ des hommes à s’exprimer et à communiquer entre eux. Nous serions donc les seuls aptes à parler, puisque la notion ainsi définie se limite à notre seule espèce. Est-ce bien certain ? Pourquoi les arbres ne s’exprimeraient-ils pas ? Une chose est sûre, ils ne parlent pas et n’émettent aucun son. Les branches qui craquent quand il y a du vent, le bruissement du feuillage sont des phénomènes passifs indépendants de leur volonté. Les arbres disposent cependant d’un moyen d’attirer l’attention : l’émission d’odeurs. Les odeurs seraient un moyen de communication ?  Mais oui, et même un moyen auquel nous reconnaissons une certaine efficacité, sinon pourquoi utiliserions-nous du parfum et des déodorants ? Notre seule odeur corporelle suffit pourtant à interpeller le conscient et le subconscient de nos congénères. Il existe des personnes que nous ne pouvons pas sentir, d’autres au contraire dont l’odeur nous attire irrésistiblement. D’après les scientifiques, les phéromones présentes dans la sueur joueraient un rôle déterminant dans le choix du partenaire avec lequel nous souhaitons nous reproduire pour assurer notre descendance. Nous possédons un langage olfactif secret, ce dont les arbres peuvent également se prévaloir. Dans les années soixante-dix, des chercheurs ont mis en évidence l’étonnant comportement d’une espèce d’acacia de la savane africaine dont les feuilles sont broutées par les girafes. Pour se débarrasser de ces prédateurs très contrariants, les acacias augmentent en quelques minutes la teneur en substances toxiques de leurs feuilles. Dès qu’elles s’en rendent compte, les girafes se déplacent vers les acacias voisins. Voisins ? Non, pas tout à fait, elles ignorent tous ceux qui se trouvent dans le périmètre immédiat du premier arbre, et ne recommencent à brouter qu’une centaine de mètres plus loin. La raison est surprenante : les acacias agressés émettent un gaz avertisseur (dans ce cas de l’éthylène) qui informe leurs congénères de l’imminence d’un danger. Aussitôt, les individus concernés réagissent en augmentant à leur tour la teneur en substances toxiques de leurs feuilles. Les girafes, qui n’ignorent rien du manège, se déplacent aux arbres non avertis. Ou bien elles remontent le vent. Les messages olfactifs étant transportés d’arbre en arbre par l’air, si elles se déplacent dans le sens contraire du vent, le premier arbre voisin n’aura pas été informé de leur présence, et elles n’auront pas à interrompre leur repas. Nos forêts tempérées sont le théâtre de phénomènes similaires. Les hêtres, les chênes, les sapins réagissent eux aussi dès qu’un intrus les agresse. Quand une chenille plante ses mandibules dans une feuille, le tissu végétal se modifie aussitôt autour de la morsure. Au surplus, il envoie des signaux électriques, exactement comme cela se produit dans le corps humain en cas de blessure. L’impulsion ne se propage pas en millisecondes, comme chez nous, mais à la vitesse d’un centimètre par minute. Il faut compter une heure de plus pour que les anticorps qui vont gâcher la suite du repas des parasites soient synthétisés. Les arbres ne sont pas des rapides : et danger ou pas, c’est là leur vitesse maximale. En dépit de cette lenteur, aucune partie de l’arbre ne fonctionne isolément. Un agresseur met les racines en difficulté ? L’information gagne l’ensemble de l’arbre et déclenche si nécessaire l’émission de substances odorantes par les feuilles. Pas de n’importe quelles substances : l’arbre les fabrique sur mesure en fonction de l’objectif à atteindre. Cette aptitude à réagir de façon ciblée l’aide à juguler l’attaque en quelques jours. Parmi tous les insectes qu’il sait reconnaître, un arbre est en effet capable de repérer le chenapan qui s’en prend à lui, car chaque espèce possède une salive spécifique qui permet de l’identifier avec certitude. Le système fonctionne si bien que des substances attirantes peuvent être émises pour ameuter des prédateurs spécialistes de l’espèce qui vont se faire une joie de prêter main-forte aux arbres en dévorant les parasites. Les ormes et les pins font appel à des petites guêpes qui pondent leurs œufs dans le corps des chenilles qui les envahissent. Les larves de guêpes y éclosent à l’abri puis se développent en dévorant petit à petit la grosse chenille de l’intérieur. Il existe des morts plus douces, je le concède, mais c’est à ce prix que l’arbre libéré de ses parasites peut de nouveau croître et embellir. […] Les arbres […] possèdent également un sens du goût.[…] »

WOHLLEBEN (2015, trad. 2017), pages 19 et passim. Retrouvez cette fiche sur hglycee.fr/bibliothèque virtuelle. © Souleymane ALI YÉRO, Ronan KOSSOU & Erwan BERTHO (2019).

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WOHLLEBEN La vie secrète des arbres (2015)

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