FICHES DE LECTURE – Tristan EGOLF, « Le Seigneur des procheries. le temps est venu de tuer le veau gras et d’armer les justes. » (1988)

BIBLIOTHÈQUE VIRTUELLE – FICHES DE LECTURE

Tristan EGOLF, Le Seigneur des Porcheries. Le temps est venu de tuer le veau gras et d’armer les justes. , États-Unis, 1988

« Le village des nains. »

FICHE TECHNIQUE

EGOLF (Tristan),Le Seigneur des Porcheries. Le temps est venu de tuer le veau gras et d’armer les justes., 1988, Gallimard, collection Folio, traduit de l’Anglais (États-Unis) par Rémy LAMBRECHTS, ISBN 2-07-074996-7, en poche (2000), 608 pages, ISBN 978-2070414734.

L’AUTEUR

Tristan EGOLF est un écrivain américain, d’un père journaliste et d’une mère artiste, il grandit dans la diaspora américaine d’Europe : né en Espagne, il écrit à Paris son premier roman Le Seigneur des Porcheries (1988). Le succès est immédiat en France où le roman paraît traduit et aux États-Unis où l’auteur est immédiatement comparé aux auteurs de la « génération perdue » (Gertrude STEIN) et de la beat generation. Son deuxième roman Jupons et violons (2002) ne rencontre qu’un succès critique. Il se suicide en 2005. Son dernier roman Kornwolf (2006) paraît à titre posthume. Son engagement social était fort dans un pays frappé par les attentats du 11 septembre 2001 et devenu autiste à toute critique, Tristan EGOLF s’opposa à la guerre en Irak (2003) et milita contre la torture pratiquée dans les prisons militaires américaines en Irak et en Afghanistan (2004, 2005).

LE LIVRE

Tristan EGOLF est sans doute un des meilleurs écrivains américains du dernier quart du XXe siècle : l’écriture précise comme un scalpel dissèque la société américaine rurale libérale des années Reagan, une société blanche, raciste, va-t-en guerre et veule, et qui érige l’ignorance et la tradition en morale universelle. L’ouverture hallucinée du roman donne le ton d’un récit qui va d’excès en excès, avec une jubilation froide qui témoigne de la justesse d’un titre à la résonnance biblique, mais pour mieux retourner les injonctions divines contre une société qui se sert trop souvent de la religion comme prétexte et comme paravent.

John Kaltenbrunner, le héros de Tristan EGOLF est ce que l’Amérique considère comme un raté. Orphelin de père, sa mère atteinte d’une maladie dégénérescente s’enfonce dans la déchéance physique et psychique, laissant l’enfant seul. Doué d’une intelligence précoce, contre toute attente, il monte un élevage de poulets qui connaît une immédiate réussite financière, mais qui attire aussi les convoitises des bigotes de la ville qui, sous le couvert hypocrite de la foi et de l’assistance, dépouillent la mère et l’orphelin de leurs biens terrestres.

Dès lors, John Kaltenbrunner va se venger d’une ville mesquine, confite dans les certitudes des petits blancs racistes du vieux sud des États-Unis, le Deep South, peinant à sortir de la Guerre de Sécession plus de 150 ans après Appomattox, définitivement cuits par des générations successives d’alcoolisme.

L’intelligence exceptionnelle de John Kaltenbrunner le pousse sans cesse à innover, changer, améliorer, entreprendre, bref semble faire de lui une sorte de condensé du self made man américain mythique. Mais John se heurte au conservatisme imbécile de toutes les institutions établies par la communauté. Tristan EGOLF décrit d’abord le choc entre le mythe des pionniers et la réalité sordide de la société américaine. On est plus proche des sorcières de Salem que du Far West.

L’école enseigne des inepties, l’église est frelatée, l’entreprise est un enfer, le sport abrutissant : Tristan EGOLF passe en revue tous les soi-disant piliers de l’Amérique traditionnelle et entreprend un dynamitage en règle de l’Amérique de Reagan (1980-1988) et des Républicains en général. Figaro américain, John Kaltenbrunner en a la charge révolutionnaire.

John va donc finir comme éboueur, métier le plus méprisé, d’une ville naturellement encline au mépris. Et le génie entrepreneurial de John Kaltenbrunner va là encore prendre le dessus ; il marginalise le patron, prend les rênes de la société, rationalise les tournées, améliore le quotidien de ses collègues, et pour enfin profiter des maigres bienfaits que pourrait leur laisser le rêve américain, va lancer une grève pour obtenir des conditions de travail décentes.

Petit à petit la ville s’enfonce dans ses ordures, les miasmes répandus révélant alors la ville telle qu’elle est : un ramassis d’égoïstes avides et violents. Le roman s’achève là où il commençait, par l’holocauste final dont John Kaltenbrunner ne peut pas sortir indemne, mais qui lui permettra enfin d’avoir raison de tous ceux qui l’ont spoliés et humiliés depuis sa plus petite enfance, laissant derrière lui un sillage de ruines, mais aussi une bande d’amis changés pour la vie et armés pour pouvoir vivre comme ils l’entendent.

Résumé et sélection des passages, numérisation © Erwan BERTHO (novembre 2015)

L’EXTRAIT

« Ce qui restait de citoyens avertis et sobres surent exactement qui était John Kaltenbrunner et ce qu’il signifiait. »

« […]  Il arriva un moment où, après que l’étripage Baker/Pottvill se fut calmé, alors que les vingt ou trente derniers citrons de l’usine de volailles de Sodderbrook, Hessiens du Coupe-Gorge, trolls de Dowler Street et autres rats d’usine des quartiers est de Baker étaient fourrés dans les paniers à salade du shérif Tom Dippold et expédiés vers les abbatoirs bourrés à craquer de Keller & Powell, que les feux d’ordures de Main Street avaient été détrempés et écrasés au milieu des ruines fumantes du Village des Nains, que le gymnase avait été noyé de gaz et envahi par une équipe d’agents de police des comtés avoisinants, mal équipés et plus que sidérés, que les pillages dans Geiger Avenue s’étaient calmés, que l’émeute à l’angle de la 3e rue et de Poplar Avenue avait été maîtrisée, qu’une bande de conducteurs d’engins indignés de l’excavation n°6 d’Ebony Steed avait depuis longtemps rendu sa visite de représailles mal inspirée aux rats de rivière de la Patokah en une bruyante et lourde procession de pick-up Dodge, et que le reste de la communauté était si complètement enseveli sous ses propres excréments que même les journalistes de Pottville 6 durent admettre que Baker semblait attendre l’arrivée des quatre cavaliers de l’Apocalypse – il arriva ce moment où, dans cet ensemble braillard, tout ce qui restait de citoyens avertis et sobres dans le comté de Greene surent exactement qui était John Kaltenbrunner et ce qu’il signifiait. […] »

L’EXTRAIT

« Un reliquat pétrifié du principe de Satan. »

« […]  Le « système éducatif » de Baker – un oxymoron en soi – est un reliquat pétrifié du principe de Satan le Malin géré par des créationnistes irréductibles, des paranoïaques de la guerre froide, et, selon les propres termes de John, « des cas d’école d’arriération mentale ». […] Malgré toute la pompe et le cérémonial qui entouraient les rencontres sportives et les remises de diplôme, la majorité des élèves quittait Holborn High en croyant dur comme fer que les dinosaures avaient disparu parce que Noé n’avait pas assez de place pour eux sur l’arche. Il allait de soi que toute exception à la norme, quelle qu’elle fût suscitait l’hostilité immédiate de cet environnement. Tout individu qui ne s’engageait pas bovinement dans l’une des deux voies possibles – l’école de commerce ou les usines du coin – pouvait être considéré comme condamné d’entrée de jeu à des années de rejet impitoyable. […] »

EGOLF (Tristan), Le Seigneur des Porcheries. Le temps est venu de tuer le veau gras et d’armer les justes., 1988, Gallimard, collection Folio, traduit de l’Anglais (États-Unis) par Rémy LAMBRECHTS, ISBN 2-07-074996-7, en poche (2000), 608 pages, ISBN 978-2070414734.

Fiche de lecture, sélection des extraits et numérisation © Erwan BERTHO (2015).

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