HISTOIRE – Terminales générales, « Le rapport des sociétés à leur passé: enjeux épistémologiques, historiographiques et politiques. »

PRÉSENTATION DES ENJEUX DE LA QUESTION

Le rapport des sociétés à leur passé : l’historien et les mémoires… 

Au Niger, la question du rapport de la société à son passé a pris, depuis l’installation durable de la démocratie (1991), une importance singulière. On le voit aujourd’hui par exemple avec la réhabilitation de la figure du général Seyni KOUNTCHÉ. Honni durant les premières années de la démocratie (1991-1996) il est devenu une figure majeure du panthéon politique nigérien : fascicules, autocollants dans les taxis, conversations, Seyni KOUNTCHÉ est devenu l’incarnation de toutes les vertus de l’homme d’État.

Outre le processus assez classique de nostalgie qui gomme les mauvais moments d’hier et permet de parer les époques passées de tous les avantages (C’est ce qu’on appelle la mémoire sélective), la réhabilitation de la personne et de l’action du général permet aussi, en creux, de critiquer les hommes politiques contemporains. Car la mémoire collective du passé est aussi un objet politique. C’est donc aux historiens de renouveler la mémoire qu’une société veut garder de son passé afin d’en limiter au maximum les tendances à la partialité et à l’instrumentalisation idéologique ou politique.

Mais les historiens ne sont pas que des gardes-chiourmes de la mémoire. Il n’y a pas entre histoire et mémoire d’opposition frontale, mais plutôt une relation dialectique subtile, l’une nourrissant l’autre et réciproquement. En effet, les historiens partent de la mémoire des acteurs du passé (Mémoire individuelle des témoins et mémoires collectives des masses et des groupes porteurs de mémoires) pour établir une histoire. Ils sont, à leur tour, producteurs de mémoires collectives. L’histoire qu’ils écrivent devient vérité et se dépose, par l’école et les médias, dans le substrat de l’inconscient collectif pour devenir une part intégrante de la mémoire que la société a de son passé.

Or les historiens révisent plus vite l’histoire écrite que la mémoire ne change. Les temps du renouvellement de l’histoire et du renouvellement de la mémoire ne sont pas synchrones. La mémoire collective, transmise au sein des familles par exemple, s’ancre plus dans la durée, tandis que les découvertes des historiens peinent à s’imposer auprès des autorités puis des médias.

L’histoire est aussi plus fragile que la mémoire collective, essentiellement parce que l’histoire se renouvelle au grès des analyses et des découvertes, des ouvertures des archives et des découvertes de nouveaux documents. Inconstante, elle séduit moins que les discours mémoriels plus simples et plus stables.

La question du rapport des sociétés à leur passé est ce qu’on appelle une question historiographique, elle interroge l’histoire de l’Histoire. C’est aussi une question épistémologique : elle interroge la manière avec laquelle on fabrique de l’histoire. On voit que l’histoire est une science sociale très politique : les sociétés sont attachées à leur passé et l’homme politique qui réussit à incarner les valeurs véhiculées par cette mémoire collective prend le pas sur les autres. Le « devoir de mémoire » dont on entend de plus en plus parler incarne cette volonté des hommes politiques de s’inscrire dans le droit fil héroïque de la mémoire collective.

Les États et les partis sont souvent les producteurs d’une « mémoire officielle », discours figé et consensuel. Souvent l’historien est donc un gêneur. En rappelant la nuance et les bassesses ou les lâchetés des peuples dans leur histoire il détruit les mythes nationaux dont se nourrissent les sociétés. Et par là menace l’influence et la puissance de ceux qui se sont hissés au pouvoir en prétendant incarner les valeurs du passé glorieux qu’ils ont inventé.

Que ce soit la Seconde Guerre mondiale (1939-1945) ou la Guerre d’Algérie (1954-1962), la France a produit des mémoires longtemps consensuelles et glorieuses contre lesquelles les historiens ont du lutter pour transmettre une connaissance du passé plus fine. Car la mémoire n’est pas la connaissance du passé mais des lambeaux du passé qui ne donnent des temps d’avant qu’un aperçu partiel, partial et insatisfaisant.

© Erwan BERTHO (2014)

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ENJEUX 1 Le rapport des sociétés à leur passé

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