PRÉPA BAC – SUJETS CORRIGÉS – Composition Histoire, « L’Allemagne dans la Guerre froide. »

PRÉPA BAC – SUJETS CORRIGÉS

Session 2010

Ce sujet de la session 2010 se trouve aujourd’hui à la frontière des programmes de Première (Thème II La guerre au XXe siècle, Question « De la Guerre froide aux nouvelles conflictualités ») et de Terminale ES/L (Socialisme et mouvement ouvrier). Sa lecture permet donc une révision des questions traitées l’année passée avant d’affronter les épreuves de juin. Il reste donc d’une double actualité!

COMPOSITION

« L’Allemagne dans la Guerre Froide. »

                         L’Allemagne détruite, et partagée entre les Alliés et notamment les États-Unis et l’Union des Républiques Socialistes Soviétiques (URSS) en 1945 est divisée en deux Etats (1949) et est, durant toute la « Guerre Froide » (1947-1991), un objet de rivalités et un terrain d’affrontement entre les deux supergrands. Et contre toute attente c’est elle qui par un coup de force « de velours » impose à ses partenaires aussi bien soviétiques qu’occidentaux une réunification à laquelle personne ne croyait. Aujourd’hui l’Allemagne est un géant mondial, pôle économique de l’Europe unie, et regarde vers l’Est où se trouvent ses matières premières, ses producteurs et ses consommateurs. Certains parlent même de la renaissance de la Mittel Europa wilhelmienne ! En quarante ans l’Allemagne a dépassé la catastrophe de 1945 et envoie des troupes à l’étranger (Balkans).

            La Guerre Froide est cet affrontement idéologique par alliés interposés (généralement des alliés du Sud) entre les États-Unis et l’URSS qui débute en 1947 avec la proclamation des doctrines Truman (Mars) et Jdanov (Octobre). Les deux nations s’y dénoncent l’une l’autre et promettent la lutte contre le modèle ennemi. Cette guerre inédite où les deux protagonistes qui pour s’être disputés le monde ne se sont jamais battus directement prend fin en décembre 1991 avec la dislocation de l’URSS. Pendant ces quarante quatre ans de lutte totale et mondiale l’Allemagne, parce que point de contact majeur entre l’Est et l’Ouest et parce qu’elle était un symbole de ce que chaque modèle pouvait offrir au reste du monde, a été le champ des rivalités est-ouest, le théâtre des tensions. Finalement elle apparaît aussi comme le lieu de la première et de la dernière crise. Depuis 1949 l’Allemagne n’est plus une mais deux. À l’Ouest la République Fédérale d’Allemagne (RFA), libérale, démocratique et capitaliste. À l’Est la République Démocratique Allemande (RDA) socialiste, marxiste, totalitaire et collectiviste. Un même peuple est le porteur de deux modèles antagonistes.

            Même si le sujet ne nous limite pas à l’étude de la RFA la satellisation de la RDA est telle qu’elle n’est rien d’autre qu’une vitrine et un glacis soviétique. Les initiatives ne peuvent venir que de la RFA.

            Il faut se demander comment l’Allemagne détruite et terrain de la guerre froide en 1945-1947 est devenue est des acteurs du Nouvel Ordre International proclamé en 1991 par le président américain George Bush ? Cela conduit à se demander comment l’Allemagne divisée a réussi à se réapproprier sa propre histoire ?

Dans un premier moment il faut s’intéresser aux années de sujétion : de 1945 au début des années soixante dix l’Allemagne est un simple spectateur et le théâtre de la Guerre froide qui se déroule pour partie sur son sol et pour partie avec elle comme symbole, sans qu’elle ait son mot à dire. Dans un deuxième moment il faut comprendre comment, des années soixante dix aux années quatre vingt l’Allemagne, est progressivement devenue maîtresse d’elle-même, puis partenaire majeur de la construction européenne avant de disposer d’une large marge de manœuvre dans ses relations diplomatiques. Enfin dans une dernière partie il faut comprendre l’impensable : comment c’est la partie la plus asservie et la plus martyrisée du peuple allemand qui va se soulever, briser ses chaînes dans un formidable élan vers les Allemands de l’Ouest avant que ceux-ci ne répondent à l’appel et n’organisent puis ne financent avec l’aide de l’Union Européenne (UE), la réunification attendue depuis 1945.

*          *          *

            Les années qui vont de la fin de la Seconde Guerre mondiale en Europe (8 mai 1945) aux débuts des années soixante dix et la doctrine de l’Ostpolitik sont marquées par la sujétion. Champ des rivalités et des tensions, théâtre de la guerre froide, l’Allemagne semble n’être que la spectatrice du destin allemand. Est-ce si simple ? L’autonomisation des deux Allemagne ne tient-elle pas ses origines dans la fermentation politique et économique de ces années de sujétion ?

            Le 8 mai 1945 l’Allemagne cesse d’exister. Elle n’est plus qu’un territoire et un peuple occupés et administrés par les puissances alliées c’est-à-dire les États-Unis, le Royaume Uni et l’URSS auxquels s’adjoint de justesse la France. L’Allemagne n’est plus un État, n’a plus d’administration, d’armée, de police, de drapeau, de capitale. L’Allemagne n’a plus d’existence juridique en 1945. C’est le résultat des décisions prises lors des grandes conférences interalliées de Yalta (février 1945) et de Potsdam (mai 1945). Le territoire allemand et sa capitale sont occupés par les puissances quadripartites. Encore l’Allemagne a-t-elle échappée de justesse au plan Morgenthau qui prévoyait de partager le territoire allemand entre tous ses voisins et d’en faire un territoire désindustrialisé ! Mais ces dispositions appliquées dès le 8 mai 1945 ne tiennent pas. Rapidement les dirigeants militaires américains (général Patton) et politiques britanniques (Churchill aux discours de Genève et Fulton, 1946, dénonce le « rideau de fer » abattu de la Baltique à l’Adriatique ») dénoncent les mensonges soviétiques. Ceux-ci au lieu d’organiser des élections libres et de quitter les territoires libérés mettent en place une « terreur rouge », épurent les sociétés des classes bourgeoises, mettent en place des gouvernements communistes et l’Armée rouge occupe sans intention de partir les territoires qu’elle a libérés. Dès lors pour les alliés des États-Unis, une Allemagne faible représente un danger, gigantesque ventre mou au cœur de l’Europe, éventuel chemin d’entrée soviétique vers l’Europe de l’Ouest. Rapidement les puissances libérales (Etats-Unis, Royaume Uni et France) comprennent que la sauvegarde de l’Europe commence par le relèvement de l’Allemagne. Le message au Congrès des Etats-Unis du président Truman (mars 1947, « doctrine Truman ») suivi en octobre de la proclamation de la « doctrine Jdanov » lancent les hostilités entre les deux grands. La guerre froide commence et l’Allemagne sera son premier champ de bataille.

            Les Etats-Unis abandonnent une partie du programme de Yalta et entament le relèvement d’une administration allemande. Rapidement (1948) une monnaie (le Deutschemark) est créée. C’est le signe pour l’URSS que les Etats-Unis sont en train de créer un Etat allemand dans la zone d’occupation alliée. Cette situation, la renaissance allemande, est inacceptable pour Staline qui n’entend pas pour des raisons de symboles et de prestige laisser l’Allemagne se relever. Il ordonne le blocus de Berlin à partir de 1948 espérant par là que les Alliés laisseraient Berlin aux mains de Soviétiques ou bien abandonneraient leur idée de création d’un État allemand. Mais pour les Etats-Unis toute reculade est impensable : il en va de leur crédibilité dans toute l’Europe. Leur capacité à sauver Berlin Ouest prouvera leur détermination à apporter la même aide à tous les États de l’Europe de l’Ouest. Finalement Berlin Ouest est ravitaillé par les airs : Staline qui ne veut pas d’une guerre ouverte avec les Américains laisse le pont aérien formidable ravitailler l’ancienne capitale. Le blocus levé entraîne la création (1949) de la République Fédérale Allemande (RFA) pro américaine et de la République Démocratique Allemande (RDA) pro soviétique. L’Allemagne de l’Ouest épaulée par les États-Unis se dote d’une armée nationale (échec de la Communauté Européenne de Défense, CED, 1954) et devient un partenaire économique à part entière en participant à la création de la Communauté Européenne du Charbon et de l’Acier (CECA, 1950) puis à celle de la Communauté Économique Européenne (CEE, 1957). Le rapprochement franco-allemand impulsé par le couple Konrad Adenauer- de Gaulle se manifeste par le traité franco-allemand (1963) d’amitié et d’échange culturel. La RDA elle affirme un peu plus sa sujétion au grand frère soviétique : en 1961 ceux-ci ordonnent la construction du « Mur de Berlin », double rangée bétonnée d’une frontière barbelée de 160 km de long séparant Berlin-Ouest de Berlin-Est. Pour les deux grands l’Allemagne et Berlin seront des symboles et des vitrines de leurs modèles respectifs. John Fitzgerald Kennedy proclamera à Berlin pour le rappeler « Ich bin Ein Berliner ! » (Je suis un Berlinois !).

            Les deux Allemagne dès lors suivent des chemins différents. La RFA bénéficie d’une plus grande liberté, de part le régime libéral qui est le sien mais qui est aussi celui de l’Europe de l’Ouest et des États-Unis. Grâce au plan Marshall et à l’aide militaire américaine qui exonère l’Allemagne de l’Ouest de trop fortes dépenses d’armement, l’Allemagne de l’Ouest connaît une croissance rapide. L’industrie, en partie épargnée par Speer, est remontée avec l’aide américaine. L’Allemagne de l’Ouest démilitarisée et dénazifiée connait une croissance rapide de son industrie lourde et de l’industrie automobile, de l’industrie légère des biens manufacturés (équipement des ménages) et la solidité et la longévité de ses produits font des marques allemandes (Siemens, Mercedes-Benz etc.) des gages de qualité aussi bien que des objets industriels de luxe. L’intégration allemande en Europe s’accélère et rapidement le couple franco-allemand apparaît comme un des éléments moteur de la construction européenne. Les chanceliers qui succèdent à Adenauer (1949-1963) suivent sa politique d’équilibre entre l’alliance américaine (indispensable) et l’intégration européenne (profitable économiquement et culturellement). A l’Est la situation reste mauvaise : les pénuries ont entraîné des émeutes ouvrières dans les grandes villes de Prusse (1953) et la violence de la répression n’a pas fait disparaître les mécontentements. W. Ulbricht dirigeant de la RDA réussit à obtenir de l’URSS une aide alimentaire qui reste insuffisante. Si le flot d’Allemands quittant la RDA s’est progressivement réduit après 1961 les 3 millions de cadres, de scientifiques et de jeunes à l’avoir quitté entre 1949 et 1961 en ont pénalisé l’essor. Dès lors la RDA s’enfonce dans la dictature et le totalitarisme tandis que la croissance économique spectaculaire fait entrer la RFA dans les « Trente glorieuses » (1945-1975). La profonde différence entre les deux Allemagne est aussi bien sûr le degré d’adhésion populaire : les Allemands de l’Ouest sont favorables à la perpétuation de leur régime économique et social où le libéralisme économique est tempéré par la cogestion patronat syndicats. Tandis qu’à l’Est c’est la terreur qui tient la population aux ordres du régime.

                        La « Détente » (1965-1975) va permettre aux deux Allemagne des rapprochements inespérés. Mais la reprise des tensions, ce qu’on nomme la « Guerre fraîche » (1975 – 1985), va mettre provisoirement un terme à ces tentatives de rapprochements. Les deux Allemagne deviennent des acteurs de la Guerre Froide mais des acteurs de seconds rôles.

            Entre la construction du mur de Berlin (1961) et le moment où le chancelier Willy Brandt lance l’Ostpolitik (1969) la situation mondiale a beaucoup changé. Dès 1956 le régime en URSS s’est un peu assoupli. Khrouchtchev met en œuvre lors du XXe Congrès du PCUS la déstalinisation et inaugure dans les relations internationales ce qu’on nomme la « Coexistence pacifique ». A partir de 1965 Brejnev pourtant un dur du régime poursuit cette politique de bonne entente avec l’Ouest. C’est la « Détente ». Les États-Unis et l’URSS s’accordent pour limiter la propagation des armes nucléaires (Accord de Non Prolifération Nucléaire, Paris, 1968) et limiter leur course aux armements (SALT 1 en 1972). La Détente culmine en 1975 avec la signature de l’Acte final de la Conférence d’Helsinki (Finlande) sur les droits de l’homme. L’Allemagne a tardivement profité de la Détente mais elle en profite à plein. Willy Brandt, ancien maire de Berlin, chancelier d’Allemagne après avoir occupé des fonctions ministérielles énonce en 1969 les principes de sa politique vers l’Est. Il entame un voyage spectaculaire à l’Est en 1970. A Varsovie il s’incline devant le mémorial des victimes de la répression du soulèvement de la ville en 1944 et devant le mémorial des victimes juives du soulèvement du ghetto (1943). Son étape à Moscou où il rencontre Leonid Brejnev marque le retour de l’Allemagne sur la scène diplomatique internationale. En 1971 le nouvel homme fort de la RDA, Erich Honecker, l’accueille. Les deux États allemands signent en 1972 le « traité fondamental » qui établit les relations diplomatiques entre les deux Allemagne et entraîne pour chacune d’elle une reconnaissance de facto de l’existence de l’autre. Les deux Allemagne se reconnaissent toutes deux comme des États du peuple allemand sans que l’existence de l’autre apparaisse comme une usurpation culturelle ou politique. La séparation du peuple allemand semble normalisée et partie pour durer. Willy Brandt en effet tout en souhaitant à terme l’unification du peuple allemand en un seul État pose comme principes de bon voisinage le respect de l’intégrité territoriale des deux Allemagne, le respect des droits des quatre nations occupantes et le respect des structures sociales de deux Allemagne. On le voit il s’agit bien dans les faits d’une tentative de normalisation diplomatique et non d’une étape vers l’unification. Celle-ci reste cependant l’objectif sentimental des dirigeants et des peuples des deux Allemagne.

            La normalisation est donc rendue possible parce que le contexte international de Détente le permet mais aussi parce que chacune des deux Allemagne semblent avoir trouvé son équilibre. La RDA est le bon élève de Moscou : l’Etat totalitaire tient son peuple sous une surveillance minutieuse organisée par la police politique secrète (la Stasi) qui compte près d’un million d’informateurs, la société allemande depuis 1953 est calme, l’industrie est-allemande est une des meilleurs du Conseil d’Assistance Économique Mutuelle (CAEM) et les dirigeants est-allemands ne sont pas pris de subites envies de libéralisation comme ce fut le cas en Tchécoslovaquie en 1968 ou en Pologne en 1980. La RDA est le satellite européen modèle et relativement florissant au regard des standards du bloc de l’Est. On parle à son propos de la « Prusse rouge ». L’Allemagne de l’Ouest affiche une réussite plus spectaculaire encore. Elle est avec la France de Valéry Giscard d’Estaing (1974 – 1981), européaniste convaincu, l’élément moteur d’une Communauté Économique Européenne (CEE) qui passe de 6 à 9 membres (1973) puis à 10 (en 1980). Willy Brandt, Helmut Schmidt et Helmut Kohl ne changent pas la ligne tracée par Konrad Adenauer : privilégier l’intégration européenne moteur de croissance économique et vecteur de la normalisation diplomatique et politique, sans froisser l’alliance américaine. La croissance économique allemande reste forte en dépit de la crise consécutive aux chocs pétroliers (1973 – 1974 et 1979). L’industrie allemande s’impose en Europe. La population allemande accepte de voir ses revenus croître moins vite que les revenus du capital pourvu que les emplois soient maintenus. Les syndicats participent aux conseils d’administration et sont partie prenante des décisions entrepreneuriales aussi bien que managériales. Les années qui vont de 1969 à la fin de la guerre fraîche (1985) sont marquées par des destins politiques et économiques différents pour les deux Allemagne mais deux destins de réussite économique et sociale. La reprise des tensions entre l’URSS et les Etats-Unis (1975) stoppe le mouvement de rapprochement entamé avec Willy Brandt mais sans changer les grandes dynamiques des deux Allemagne ni leur place respective au sein des blocs auxquelles elles appartiennent.

            Cependant les deux sociétés allemandes ne vivent pas repliées sur elles-mêmes. Elles vivent au rythme de leur temps. La perte de la liberté n’a pas détourné totalement les Allemands de l’Est des revendications civiques. Les organisations allemandes en RDA se font entendre pour que les principes d’Helsinki soient respectés. Comme à l’Ouest les revendications environnementalistes sont de plus en plus pressantes. Car si la RDA est une puissance industrielle à l’échelle du CAEM c’est aussi un Etat très pollué : les machines vieillissantes encombrent les villes industrielles d’une pollution de l’air permanente. La contestation s’exprime par ces biais détournés mais elle s’exprime. Le raidissement du régime Honecker ne change rien au fait que l’Allemagne de l’Ouest apparaît comme un modèle de plus en plus attirant. Sous la chape de plomb du régime policier de RDA la contestation couve. Mais elle couve également en RFA. La jeunesse allemande comme partout dans le monde, proteste contre son infantilisation. Les structures sociales et juridiques de la RFA (comme de la France) apparaissent obsolètes et inadaptées aux temps nouveaux. Les étudiants ouest allemands eux aussi comme à la Sorbonne et peut-être avant ceux de la Sorbonne regardent vers les modèles socialistes ou chinois pour changer le monde. Les mouvements pacifistes, anti-nucléaires et environnementalistes sont très actifs. Mais la contestation ne se cantonne pas au militantisme. Au milieu des années soixante dix les groupes terroristes sèment la terreur en RFA. Ces groupes renaissent au fur et à mesure de leur neutralisation. L’Allemagne de l’Ouest dans les années soixante dix et quatre vingt vit elle aussi au rythme des attentats d’extrême gauche. Le groupe terroriste le plus représentatif est sans doute celui de Baader – Meinhof (« La bande à Baader ») arrêté au milieu des années soixante dix renaîtra périodiquement jusqu’aux années quatre vingt dix ! La prise d’otage par le groupe palestinien « Septembre Noir » des athlètes israéliens lors des jeux olympiques de Munich (1972), qui se solde par l’exécution des preneurs d’otages comme des otages montre l’état d’impréparation des forces de sécurité ouest allemandes. Celles-ci vont se professionnaliser (Création de la force policière anti-terroriste, le G2) et l’appareil d’Etat va apparaître de plus en plus policier. Le moindre des paradoxes n’est-il pas de voir la jeunesse est allemande envier le modèle de développement libéral pendant que l’intelligentsia ouest allemande proclame son adhésion aux thèses révolutionnaires ? Le point culminant des tensions est peut-être atteint lors de « la crise des euromissiles » : alors que les Soviétiques ont installés des missiles plus performants en Ukraine et en Biélorussie remettant en question le statut quo obtenu dans les années soixante dix, les Etats-Unis souhaitent installer pour rétablir l’équilibre des Pershing II en Allemagne. La population et une partie de la gauche européenne sont très hostiles à cette installation. Elle rappelle à tous cruellement que l’Allemagne est toujours en dépit de ses spectaculaires réussites diplomatiques et économiques un simple champ de bataille entre les deux supergrands. François Mitterrand, président socialiste et peu suspect d’américanophilie en rappelant que « les missiles sont à l’Est et les pacifistes à l’Ouest » (1982) aide les dirigeants allemands à convaincre leur société civile de l’utilité du parapluie balistique américain. Tristement les années quatre vingt semblent faire revenir la question allemande des décennies en arrière.

                        La période de quatre ans qui va de l’arrivée au pouvoir du jeune réformateur soviétique Mikhaïl Gorbatchev (1985) à la réunification allemande (1990) est aussi courte que chargée d’événements et de tensions. L’Allemagne de l’Ouest bénéficie bien sûr d’un contexte international complètement changé mais aussi capitalise son engagement européen d’un quart de siècle et use enfin de sa puissance économique formidable pour organiser la réunification et précipiter de fait la fin de la « Guerre Froide ».

            En 1985 après le décès du très archaïque Leonid Brejnev artisan de l’impérialisme soviétique des années soixante dix et de la fossilisation du bloc communiste en Europe le PCUS porte au pouvoir deux vieillards malades (Andropov cancéreux mais ancien chef du KGB et le maréchal Tchernenko impotent). C’est la gérontocratie soviétique dans sa manifestation la plus caricaturale. Puis subitement comme dans un sursaut de la dernière heure le PCUS amène au poste de Secrétaire Général du Parti Communiste de l’Union Soviétique un homme jeune (la cinquantaine) réformateur et favorable à une reprise du dialogue avec l’Ouest : Mikhaïl Gorbatchev. L’URSS est ruinée. Déconsidérée depuis son intervention en Afghanistan (1979), Vietnam des Russes, ruinée par une course aux armements que les États Unis de Ronald Reagan (1980-1988) ont relancé à dessein avec le programme d’Initiative de Défense Stratégique (IDS). La population des Républiques fédérées a perdu toute confiance dans les dirigeants et, plus grave, dans le modèle idéologique soviétique lui-même. Mikhaïl Gorbatchev impulse deux politiques intérieures : la « Pérestroïka » et la « Glasnost », c’est-à-dire la libéralisation de l’économie et de la gouvernance en URSS. Une de ses premières déclarations internationales est à destination des républiques sœurs d’Europe de l’Est : il affirme le principe de non ingérence dans les affaires intérieures des républiques du bloc communiste en Europe. Les interventions de 1953 (Berlin) de 1956 (Budapest) et de 1968 (Prague) ne se renouvelleront plus. En 1986 l’Armée rouge quitte l’Afghanistan. En 1987 l’URSS et les Etats-Unis signent un accord de limitation conjointe des arsenaux nucléaires intermédiaires (Traité de Washington). Comme en 1956 les deux signaux forts envoyés d’URSS (Libéralisation du régime et autonomie des « pays frères ») ont des répercutions immédiates : en Pologne le syndicat d’opposition Solidarnosc mène une intense activité militante contre le régime du général Jaruzelski sans être très inquiété. En Hongrie, traditionnellement aussi frondeuse que sa grande voisine polonaise, le système économique plus diversifié et plus ouvert sur l’Occident a entraîné depuis longtemps une ouverture de l’ensemble du pays sur son voisin autrichien. Le glacis soviétique et l’ensemble des républiques socialistes soviétiques liées à la Russie sont agités de tensions sociales et politiques de plus en plus fortes.

            Les deux Allemagne ne font évidemment pas exception à la règle. La RFA de Helmut Kohl est engagée depuis 1985 dans une coopération économique et financière avec l’URSS exsangue. L’URSS touchée par des pénuries alimentaires et de biens de consommation courante (textile, chaussures…) reçoit une aide massive de l’Europe de l’Ouest et de l’Allemagne de l’Ouest en particulier. La CEE a comme les États-Unis un intérêt stratégique à soutenir économiquement le régime réformateur de Mikhaïl Gorbatchev car des « durs » nostalgiques de l’ère brejnévienne attendent son échec pour le renverser. La situation en Allemagne de l’Est va brutalement changer. Dans l’été 1989 les Allemands de l’Est en vacances en Hongrie se précipitent soit dans l’ambassade ouest allemande de Budapest pour demander l’asile politique (accordé) soit à la frontière austro-hongroise dans l’attente de passer en Autriche. Hors, les autorités douanières hongroises ouvrent leur frontière. Des milliers d’Allemands se rendent donc en Hongrie pour passer ensuite en Autriche et demander l’asile politique à la RFA. On dit que « les Allemands votent avec leurs pieds ». La situation à Berlin est également effervescente. En octobre 1989 après un été particulièrement fort en événements la population de Berlin Est se précipite vers le mur de Berlin et commence à le détruire. Les Volsk Polizeï (VoPo) chargés d’abattre les Berlinois qui tentaient de passer frauduleusement à Berlin Ouest restent l’arme au pied. En quelques heures les Berlinois de l’Est et de l’Ouest détruisent avec les moyens du bord le double mur qui les séparait depuis 1961. Après une nuit folle de liesse et de retrouvailles le « mur de la honte » est tombé. Le régime d’Erich Honecker est en sursis. La population s’attaque ensuite aux institutions communistes et policières. L’URSS ayant réaffirmé son intention de ne pas intervenir chacun comprend que le régime communiste en RDA vit ses dernières heures. Le mot de « réunification » est immédiatement lancé par les dirigeants ouest allemands. Dans un premier temps il ne fait pas l’unanimité chez les alliés de l’Allemagne de l’Ouest. Chacun comprend que le régime de Gorbatchev ne résistera pas à la réunification allemande car le camouflet contre la grandeur de l’URSS sera trop fort. Mais les dirigeants allemands sont pressés.

            La puissance économique allemande va jouer à plein durant cette année décisive pour l’Allemagne, pour les deux Allemagne. La réunification pose immédiatement le problème du devenir du mark est allemand dont la valeur réelle est nulle. Mais la RFA propose de financer l’échange un mark pour un mark. (Ce qui revient à échanger un billet de Monopoly contre un billet de même valeur faciale en € !). La RFA va injecter près de 1000 milliards de Deutschemark en RDA pour accompagner la transition économique, sociale et politique. Une somme énorme qui montre à la fois la puissance financière de la RFA et l’ardent désir des dirigeants et du peuple allemand de se réunifier. Un an après la chute du mur de Berlin les deux Allemagne n’en font plus qu’une par absorption de la RDA par la RFA, la RDA constituant ce qu’on nomme les « nouveaux länder ». Non seulement l’URSS valide la réunification mais elle abandonne son idée d’une démilitarisation de l’Allemagne nouvelle. La nouvelle RFA garde ses effectifs militaires (mais ne les augmente pas : l’armée de RDA est donc dissoute et son matériel vendu, d’abord dans les Balkans vers la Croatie et le Slovénie aux velléités indépendantistes) et la RFA agrandie reste membre de l’Organisation du Traité de l’Atlantique Nord (OTAN). La RDA est donc le premier Etat anciennement communiste à rentrer dans l’OTAN. Les dirigeants ont obtenu tout ce qu’ils voulaient. L’URSS reçoit en échange une aide européenne et américaine massive et régulière. Et des Investissements Directs Étrangers (IDE) qui lui permettront de moderniser son économie et peut-être de survivre. L’Allemagne clôt donc la période ouverte par la séparation de 1945. La RFA reconnaît les frontières de l’ancienne RDA c’est-à-dire la ligne frontière Oder-Neisse avec la Pologne mettant définitivement un terme à la Seconde Guerre mondiale (1939-1945). L’Allemagne est sans conteste la puissance dominante en Europe en cette fin d’année 1990. Dans l’année qui suit la chute du mur de Berlin toutes les républiques d’Europe de l’Est après des « révolutions de velours » changent de dirigeants, abandonnent le système économique collectiviste, portent au pouvoir des réformateurs et entament un rapprochement rapide avec l’Europe de l’Ouest. En 1991 la Yougoslavie est avec l’URSS le dernier État officiellement communiste d’Europe. Or le processus de désagrégation de l’URSS commence dans l’été 1991 : un putsch raté de généraux soviétiques déstabilise Gorbatchev et porte au pouvoir Boris Eltsine qui va provoquer la disparition (décembre 1989) de l’URSS. Dans la même année les Etats fédérés de la Yougoslavie prennent leur indépendance : Slovénie, Croatie et Bosnie entrent en guerre avec le gouvernement de Belgrade. Or l’Allemagne favorable à la disparition de la Yougoslavie va fournir les armes dont les armées croates et bosniaques ont besoin en déstockant l’énorme arsenal conventionnel de l’ancienne armée de RDA qui se retrouve du jour au lendemain sur les champs de bataille des Balkans. Le premier geste de politique étrangère de l’Allemagne unifiée est donc un formidable et meurtrier faux pas.

*          *          *

                        L’Allemagne est donc passée en cinquante ans du statut d’enjeu et de spectateur de la « Guerre froide » (1945 – 1969) à celui d’acteur (1969 – 1985) avant de devenir un des metteurs en scène de la fin de la Guerre Froide en Europe (1985 – 1991) et un organisateur de la transition post socialiste (Depuis 1991) dans les Pays de l’Europe Centrale et Orientale (PECO). La « Guerre Froide » (1947-1991) commencée en Allemagne et plus précisément à Berlin s’est achevée probablement à Berlin et à travers la réunification de l’Allemagne.

 © Erwan BERTHO (2010, 2015, 2017)

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L’Allemagne dans la Guerre Froide Version actualisée

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