Archives de catégorie : Anthologies

Cette catégorie propose deux types d’extraits: des extraits d’œuvres littéraires et des extraits d’essais. D’abord une série d’extraits d’œuvres littéraires majeures (Il s’agit ici essentiellement de romans et de poésies) traitant de problématiques communes à l’Europe et à l’Afrique. La plupart des auteurs retenus sont Africains (D’Afrique ou des diasporas) et l’accent a été mis sur les auteurs récents (Après 1991). On trouvera également dans cette catégorie – avant qu’elle ne soit étoffée et scindée – des extraits d’essais politiques, sans forcément de rapport avec les œuvres littéraires africaines présentées.

ANTHOLOGIE – 1994, Ahmadou KOUROUMA, En attendant le vote des bêtes sauvages. « Une seule occupation rentable: le trafic des esclaves noirs. »

« Une seule occupation rentable : le trafic des esclaves noirs. »

  « […] 1

 Ah ! Tiécoura. Au cours de la réunion des Européens sur le partage de l’Afrique en 1884 à Berlin, le golfe du Bénin et les Côtes des Esclaves sont dévolus aux Français et aux Allemands. Les colonisateurs tentent une expérience originale de civilisation de Nègres Continuer la lecture de ANTHOLOGIE – 1994, Ahmadou KOUROUMA, En attendant le vote des bêtes sauvages. « Une seule occupation rentable: le trafic des esclaves noirs. »

ANTHOLOGIE – 1997, Boris Boubacar DIOP, Le Cavalier et son ombre. « Le Président était le pantin idéal. »

« Le Président était le pantin idéal. »

 « […] Une odeur nauséabonde les fit reculer de quelques pas. Une odeur de cadavre.

Au même instant, une voix retentit derrière eux :

– bienvenue dans ma modeste retraite.

C’était le Président.

Il avait fière allure dans son célèbre grand boubou trois-pièces d’un blanc immaculé Continuer la lecture de ANTHOLOGIE – 1997, Boris Boubacar DIOP, Le Cavalier et son ombre. « Le Président était le pantin idéal. »

ANTHOLOGIE – 2008 – Abdourahman WABERI, Aux Etats-Unis d’Afrique. « Le théâtre de ton périple. »

« Le théâtre de ton périple. »

 « […] Ton programme tient en deux mots, ma tendre Malaïka. Retrouver la trace de ta mère première, la femme sans visage, inaccessible à ce jour. Continuer la lecture de ANTHOLOGIE – 2008 – Abdourahman WABERI, Aux Etats-Unis d’Afrique. « Le théâtre de ton périple. »

ANTHOLOGIE – 2002, Yasmina KHADRA, L’imposture des mots. « Maintenant que je ne suis plus un soldat, qui suis-je ? »

« Maintenant que je ne suis plus un soldat, qui suis-je ? »

 « […] Le mal qui a trop duré, laisse un grand vide en disparaissant. Maintenant que je ne suis plus soldat, qui suis-je ? Maintenant que je n’obéis plus aux ordres, que je ne marche plus au pas, que je ne suis plus obligé de claquer les talons dès qu’on me toise d’en haut, que vais-je faire de mes années de plomb Continuer la lecture de ANTHOLOGIE – 2002, Yasmina KHADRA, L’imposture des mots. « Maintenant que je ne suis plus un soldat, qui suis-je ? »

ANTHOLOGIE – 1960, Ousmane SEMBENE, Les bouts de bois de Dieu. « Ce temps enfantait aussi d’autres femmes. »

« Ce temps enfantait aussi d’autres femmes. »

« […] Ainsi la grève s’installa à Thiès. Une grève illimitée qui, pour beaucoup, tout au long de la ligne, fut une occasion de souffrir, mais, pour beaucoup aussi, une occasion de réfléchir. Lorsque la fumée[1] s’arrêta de flotter sur la savane, ils comprirent qu’un temps était révolu, le temps dont leur parlaient les anciens, le temps où l’Afrique était un potager. C’était la machine qui maintenant régnait sur leur pays. En arrêtant sa marche sur plus de quinze cents kilomètres, ils prirent conscience de leur force, mais aussi conscience de leur dépendance. En vérité, la machine était en train de faire d’eux des hommes nouveaux. Elle ne leur appartenait pas, c’était eux qui lui appartenaient. En s’arrêtant elle leur donna cette leçon.

Des jours et des nuits passèrent. Il n’y avait pas de nouvelles, sinon celles qu’apportaient chaque heure dans chaque foyer et c’étaient toujours les mêmes : les provisions étaient épuisées, les économies mangées, il n’y avait plus d’argent sous le toit. On allait demander crédit, mais que disait le commerçant ? Il disait : « Vous me devez déjà tant et moi je n’aurai même pas de quoi faire ma prochaine échéance. Pourquoi ne suivez-vous pas les conseils qu’on vous donne ? Pourquoi ne reprenez-vous pas ? »

Alors on utilisa encore un peu la machine : on apporta chez le prêteur les vélomoteurs et les vélos, les montres ; puis ce fut le tour des boubous de valeur, ceux qu’on ne mettait qu’aux grandes occasions, et des bijoux. La faim s’installa ; hommes, femmes, enfants, commencèrent à maigrir. Mais on tenait bon. On multipliait les meetings, les dirigeants redoublaient d’activité et chacun jurait de ne pas céder.

Des jours passèrent et des nuits passèrent. Et voici qu’à la surprise générale, on vit circuler des trains. Les locomotives étaient conduites par des mécaniciens venus d’Europe, des soldats et des marins se transformaient en chef de gare et en hommes d’équipe. Devant les gares, les esplanades devinrent des places fortes, entourées de barbelées derrière lesquels des sentinelles montaient la garde nuit et jour. Ce fut alors au tour de la peur de s’installer. Chez les grévistes, une peur informulée, un étonnement craintif devant cette force qu’ils avaient mise en branle et dont ils ne savaient encore s’il fallait la nourrir d’espoir ou de résignation. Chez les Blancs, la hantise du nombre. Comment, petite minorité, se sentir en sûreté au milieu de cette masse sombre ? […]

Des jours passèrent et des nuits passèrent. Dans ce pays, les hommes ont plusieurs épouses et c’est sans doute pour cela qu’au début ils ne songèrent guère à l’aide qu’elles apportaient. Mais bientôt, là encore, ils découvrirent un aspect nouveau des temps à venir. Lorsqu’un homme rentrait d’un meeting, la tête basse, les poches vides, ce qu’il voyait d’abord c’était la cuisine éteinte, les mortiers culbutés, les bols et les calebasses empilées, vides. […] Et les épouses, devant ces épaules cassées, ces pas traînants, prenaient conscience que quelque chose était en train de changer aussi pour elles.

[…]

Les jours étaient tristes et les nuits étaient tristes. Le miaulement du chat vous faisait frémir.

Un matin, une femme se leva, elle serra fortement son pagne autour de sa taille et dit :

– Aujourd’hui, je vous apporterai à manger.

Et les hommes comprirent que ce temps, s’il enfantait d’autres hommes, enfantait aussi d’autres femmes. . […] »

 SEMBÈNE (Ousmane), Les bouts de bois de Dieu. Banty Mam Yall. , 1960, Paris, aux éditions Le livre contemporain, réédité en 1971 aux éditions Press Pocket n°871, 379 pages, partie du récit intitulée « Thiès. », chapitre « Maïmouna », pages 62 et suivantes.

ISBN 2-266-10631-7

[1] Il s’agit ici de la fumée des cheminées des locomotives à vapeur.