Tale – GÉOGRAPHIE (10), Des territoires inégalement intégrés à la mondialisation.

Tale – GÉOGRAPHIE (10), Des territoires inégalement intégrés à la mondialisation. 

Vous montrerez dans quelles mesures on peut affirmer que la mondialisation, par son fonctionnement néolibéral qui met en concurrence les territoires les uns avec les autres, permet la forte croissance économique de certains types de territoires au détriment des autres ? 

                                La mondialisation, processus géo – historique d’intégration croissante des territoires et des sociétés à l’économie capitaliste libérale, et ce à l’échelle de la planète, met les territoires en concurrence les uns avec les autres. Parce que les entreprises recherchent les territoires les plus attractifs (Faibles coûts de production, accessibilité, attractivité, sécurité…), parce qu’aussi, quoiqu’on en dise, la richesse n’est pas extensible et que si elle se localise sur un territoire elle n’est pas ailleurs… Certains territoires profitent donc de la croissance générée par leur forte intégration aux flux mondiaux, d’autres plus ou moins intégrés en profitent moins voire en pâtissent. Quelles sortes de territoires bénéficient de la mondialisation ? 

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                                Les territoires les plus intégrés à la mondialisation sont ceux qui créent le plus de richesses. On les observe à plusieurs échelles : mondiale (1), continentale et régionale (2) et locale (3).

À l’échelle mondiale, la Triade (Amérique du Nord, Europe de l’Ouest, Asie orientale avec le Japon et les Nouveaux Pays Industrialisés d’Asie, NPIA, comme la Corée du Sud, Taïwan, le territoire autonome de Hong Kong et Singapour) domine le monde. Les pays de la Triade émettent 66% des Investissements Directs Étrangers (IDE) dans le monde : l’Amérique du Nord en reçoit 4 000 milliards de dollars (US$) chaque année, l’Europe de l’Ouest 8 000 US$ et l’Asie 3 500 US$. La capacité d’un territoire à créer de la richesse se mesure à l’aide du Produit Intérieur Brut (PIB) par exemple : celui des États-Unis est de 19 000 milliards de dollars (US$) par an, c’est le 1er. Le PIB/habitant permet de lisser les effets de masse démographique : ainsi celui de la République Populaire de Chine (RPC), le 2ème de la planète, qui culmine à 8 500 milliards de dollars, s’abaisse à 7 500 US$/habitant, loin derrière celui des États-Unis (50 000 US$), du Japon (45 000US$) ou de l’Union Européenne (UE, 35 000US$). La redistribution des richesses se mesure avec l’Indice de Développement Humain (IDH, 1990, travaux de Mahbub UL HAQ et Amartya SEN) développé par le Programme des Nations Unies pour le Développement (PNUD) : les IDH forts (+ de 0,850) sont situés dans la Triade. Celui des États-Unis (0,937, 3e IDH mondial) ou du Danemark (0,955, 1er) montrent que le niveau de richesses ne correspond pas toujours à la redistribution des richesses.

À l’échelle continentale et régionale, les richesses se concentrent sur les littoraux des grandes Zones Industrialo-portuaires (ZIP) comme les façades pacifique et atlantique de l’Amérique du Nord, la façade de la Manche en Europe (Northern Range) et les littoraux de l’Est asiatique. Des ports puissants sont les pôles de ces ZIP : c’est le cas de Shanghai (1er port en tonnage avec 600 millions de tonnes de fret et en nombre de conteneurs débardés avec 30 millions de conteneurs Équivalents Vingt Pieds, EVP). L’avant port de Shanghai (Le port de Yangshan, situé en eaux profondes sur des ilots artificiels) est relié à Shanghai, distante de 40 km, par un pont géant, le pont de Donghai, long de 32 km dont 26 au dessus de l’océan. Singapour (29 millions d’EVP/an) et Rotterdam-Maasvlakte (40 km de quais, 12 millions d’EVP et 500 millions de tonnes de fret) sont les autres principales infrastructures portuaires de la planète. Les routes maritimes majeures qui passent par les détroits (de Malacca au large de Singapour, d’Ormuz et de Bab el Mandeb au Moyen Orient, de Gibraltar en Méditerranée, de la Manche en Europe) et les canaux (Canal de Suez en Égypte, canal de Panama en Amérique centrale) relient ces ZIP majeures. Les métropoles mondiales, véritables centres d’impulsion de la mondialisation, dominent et structurent ces ZIP et polarisent les flux (Informations, capitaux, marchandises, hommes). Les villes mondiales (Londres, Tokyo, New York) dotées de Central Business Districts (CBD) attirent les sièges sociaux des Firmes Transnationales : celles-ci sont attirées par la grande accessibilité liée à la présence d’aéroports de rang mondial (Les hubs, comme Atlanta avec 95 millions de passagers par an, Londres avec 70 millions ou Tokyo avec 66 millions) et la concentration de services rares (Le secteur Quaternaire) dans la finance, le design, le droit fiscal et commercial international, le marketing. À la tête de réseaux étendus de filiales et de milliers de sous-traitants, émettrices et réceptrices de flux multiformes de plus en plus denses, elles apprécient la concentration des compétences et des centres de décisions qu’offrent les métropoles mondiales. Naturellement, les marchés financiers y sont les plus dynamiques : New York (Et ses deux indicateurs du New York Stock Exchange, NYSE, et du National Association of Securities Dealers Automated Quotations, NASDAQ, 1971), et Chicago (Chicago Board of Trade) affichent 12 000 milliards US$ de capitalisation boursière, Tokyo près de 5000 milliards US$ et Londres, 3e place financière de la planète, 2 500 milliards US$.

À l’échelle locale, de fortes disparités apparaissent également. Les centres villes et les cœurs historiques des villes, en fonction de leur morphologie propre, sont plus riches que les périphéries. À New York, la péninsule de Manhattan accueille les sièges sociaux des FTN, les immeubles de bureaux des sociétés du quaternaire et les classes aisées (East Side), à Paris, les quartiers en front de Seine et globalement l’Ouest de l’agglomération sont des quartiers riches. À Tokyo le triangle d’or entre la Banque centrale, les jardins du palais impérial et les quartiers de Shinjuku-Chibuya sont les plus chers : le m² s’y négocie à près de 30 000€. La tendance affecte aussi les métropoles du Sud : à Mumbaï les quartiers proches du cœur historique colonial britannique sont peuplés d’une population occidentalisée et très aisée. Dans les villes sud américaines la ségrégation sociale et spatiale est forte : au Brésil par exemple les populations riches vivent dans les quartiers des vallées de Rio, de Sao Paulo et de Bello Horizonte. Les métropoles se gentrifient à la suite de Londres : les classes populaires et les classes moyennes sont chassées par l’augmentation des prix de l’immobilier et les opérations de rénovation urbaine. À Paris, les anciens quartiers populaires des XIe et XIIe arrondissements accueillent maintenant une nouvelle classe de la bourgeoisie-bohême, couples sans enfants, très qualifiés et aisés, qui consomme et coûte peu à la communauté (les Bo-Bo). À New York la communauté africaine-américaine aisée revient dans le berceau historique de Harlem, au Nord de Central Park, et occupe des immeubles bas (Moins de cinq étages) rénovés et datant du début du XXe siècle. Les ghettos sont maintenant dans les grandes métropoles autant pour les riches que pour les pauvres. À la périphérie des grandes métropoles, les technopôles abritent des sociétés des nouvelles technologies et leur population de cadres très qualifiés de l’ingénierie. Ils sont attirés par le cadre de vie champêtre et l’absence de pollution sonore ou environnementale.

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                Autour de ces pôles de la mondialisation, des espaces plus ou moins intégrés s’articulent. À l’échelle mondiale les BRICS et les pays pétroliers forment un espace de richesse intermédiaire (1) mais à croissance forte, tandis que les rives des mers intérieures (Mer de Chine, Mer Méditerranée, Caraïbes) et les zones franches connaissent un développement subordonné à la puissance de la Triade (2). Mais à toutes les échelles (Mondiale, continentale et régionale, locale) des territoires sont en marge de la mondialisation (3).

Le Brésil, la Russie, l’Inde, la Chine et l’Afrique du Sud (BRICS) sont les puissances émergentes. Leur enrichissement ces vingt dernières années, porté soit par l’augmentation des prix des matières premières minières (Russie, Afrique du Sud) soit par les délocalisations (Chine) soit par la montée en gamme de leurs industries (Brésil, Chine et Inde) est notable. La République Populaire de Chine (RPC) a le 2e PIB de la planète (8 500 milliards de dollars depuis 2012, et est le 1er exportateur de produits manufacturés (2010). Les métropoles des BRICS constituent maintenant des mégalopoles en formation (Mumbaï, le triangle « Buenos Aires-Sao Paulo-Rio », le delta de la « Rivières des perles » autour de Guangdong-Macao-Hong Kong en RPC). L’aéroport international de Beijing (Pékin) accueille 82 millions de passagers par an, c’est le 2e hub mondial. Les marchés intérieurs de ces États-continents en voie rapide d’industrialisation sont importants : un milliards et demi d’habitants en Chine, 1,2 milliards en Inde, 200 millions au Brésil… Réunis dans des forums annuels ils créent, lors du Sixième forum des BRICS (2014, Fortaleza, Brésil) la Nouvelle Banque Internationale d’Investissements basée à Shanghai dotée d’un capital initial de 50 milliards de dollars et signent un Accord Cadre instaurant une réserve de change commune, d’un montant de 100 milliards de dollars. Ces deux nouvelles institutions monétaires mondiales sont destinées à faire contrepoids au Fonds Monétaire International (FMI, Washington, États-Unis), au groupe Banque mondiale (WBG, Washington, États-Unis) et à l’Organisation Mondiale du Commerce, (OMC, Genève, Confédération helvétique, Espace Économique Européen, EEE). Les pays pétroliers constituent un groupe un peu à part dans la Nouvelle Division Internationale du Travail (NDIT). Leur croissance est portée par les cours des matières premières : les PIB n’ont donc qu’une valeur relative pour mesurer la richesse créée : ainsi le PIB de l’Angola a cru de 25% entre 2012 et 2013 sans que l’activité manufacturière ne décolle. Au Nigeria l’activité manufacturière a progressé de 18% en 2013 mais cela est du d’abord à la relance des activités de raffinage. De plus en plus de pays pétroliers, à la suite de l’Indonésie dès les années 1980’, se sont lancés dans la diversification de leurs économies : c’est le cas des Émirats Arabes Unis (EAU) dans les années 1990’ et du Qatar aujourd’hui. L’Iran fait figure de cas particulier : la politique d’industrialisation menée par le Shah dans les années 1970’ a été poursuivie par le régime des Mollahs et permet aujourd’hui à Téhéran d’être le seul pays pétrolier à l’économie diversifiée et très industrialisée.

La mondialisation s’organise cependant sur l’existence de vastes territoires dédiés à la production et à l’assemblage de produits imaginés, innovés, « designés » et vendus au Nord. L’exemple des Smartphones est archétypal. L’i Phone d’Apple est composé d’une centaine d’éléments fabriqués dans plus de 40 pays différents, acheminés en Chine et assemblés dans des centres industriels géants, situés de plus en plus loin du littoral, employant des ouvriers de l’intérieur de la Chine, ceux des Zones Économiques Spéciales (ZES, 1979) étant devenus trop chers ! Les régions littorales des « mers intérieures » sont les périphéries intégrées à la mondialisation mais dépendantes de la Triade et des BRICS. Comme la Mer de Chine (qui articule une DIT à l’échelle de l’Asie orientale), comme les Caraïbes (qui irriguent la Sun Belt américaine et la Mexamérique) ou la Mer Méditerranée, et les pays du Maghreb (Maroc, Tunisie) et l’Égypte (Qui accueillent les délocalisations textiles et de maroquinerie de l’Union Européenne, UE). À l’échelle locale, les zones franches (Ports, quartiers d’affaires en périphérie des agglomérations, aéroports comme celui de Dubaï…) constituent aussi des zones privilégiées des investissements. Les économies de ces territoires sont dépendantes du dynamisme des économies de la Triade qui leur fournissent la clientèle (Café d’Éthiopie, roses du Kenya…) et les IDE. La crise des dettes souveraines (2009) a entrainé un rapatriement massif des IDE vers l’Europe de l’Ouest et l’Amérique du Nord, fragilisant les devises asiatiques et la roupie indienne, rappelant au passage que les taux de croissance des pays du Sud, ou de certaines de leurs régions, restaient dépendants des Pays Anciennement Industrialisés (PAI). Sans être marginalisés, ces territoires restent donc dépendants. Donc dominés.

Certains territoires restent en marge de la mondialisation. À l’échelle mondiale il s’agit d’abord des Pays les Moins Avancés (PMA), catégorie définie par l’ONU et constituée des pays les plus pauvres (Le PIB/hab/an en Parité de Pouvoir d’Achat, PPA, est inférieur à 400 US$), l’IDH est faible (Moins de 0,500) comme au Niger (0,340 en 2012), la majorité de la population vit avec moins de 1,25 US$/jour (Seuil mondial de la pauvreté) comme au Mali (75%), ou au Rwanda (66%) ou au Gabon (55%) alors que ce dernier est un pays pétrolier ( !). Les indicateurs nouveaux (Comme l’Indice Multidimensionnel de la Pauvreté, MPI) permettent d’affiner les analyses : au Niger, 182e IDH mondial, 84% des habitants sont pauvres au regard du MPI, mais ils sont 90% en Éthiopie, pourtant mieux placée en terme d’IDH. Les stigmates de la pauvreté restent cependant globalement les mêmes : espérance de vie courte (49 ans au Niger contre 94 au Japon), analphabétisme fort (55% au Mali), insécurité (Terrorisme comme au Mali, séparatisme comme au Soudan du Sud, coupeurs de routes comme au Cameroun, traite des êtres humains comme au Niger), corruption, chômage des jeunes massif (Plus de 33% des moins de 25 ans sont sans emploi), discrimination à l’égard des femmes très forte (Mesurée par l’Indice Sexospécifique de Développement Humain, ISDH, par le PNUD, mais mesurable aussi par les pratiques de crimes d’honneur, des avortements sélectifs quand le fœtus est une fille, etc.). À l’échelle régionale, nationale ou locale, ces territoires marginalisés sont identifiables également : Chine intérieure, Sahel, banlieues éloignées des grandes agglomérations, régions rurales enclavées (France, États-Unis), vieilles régions de la première industrialisation (La région Nord-Pas de Calais en France)… Mais les sociétés sont aussi inégalement intégrées dans la mondialisation : les immigrés taillables et corvéables à merci, les femmes premières licenciées, les jeunes entrant de plus en plus tardivement dans la vie active, les retraités de plus en plus souvent pauvres, les ruraux laminés par les Industries Agroalimentaires sont largement en marge de la croissance…

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                La mondialisation intègre inégalement les territoires, mais aussi les sociétés. De plus en plus la contestation populaire proteste contre les injustices sociales croissantes générées par la libéralisation des économies.

© Souleymane ALI YÉRO, Erwan BERTHO & Ronan KOSSOU (2019)

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