DOCUMENTS DE COURS – Géographie – Terminales ES & L, « Mumbai, modernités, inégalités. »

COMPOSITION

Dynamiques géographiques des grandes aires continentales : l’Asie du Sud et de l’Est : les enjeux de la croissance. (1/3)

Mumbai, inégalités, modernités. 

Vous montrerez comment la métropole de Mumbai en Inde, théâtre de toutes les modernités et les inégalités de l’Inde moderne, est le reflet de la croissance économique et démographique de l’Asie du Sud et de l’Est ? 

Mumbai est la capitale économique de l’Inde : dans une large mesure elle est le miroir du Shinning India. Mais elle est aussi le reflet des inégalités de l’Inde contemporaine, les inégalités anciennes issues du système des castes par exemple comme les inégalités nouvelles nées de la modernité même, produite par le développement indien de ces dernières années. Qu’est-ce que la modernité d’une ville ? Sans doute un processus de densification des infrastructures (De transport, sanitaires, scolaires, sanitaires…), d’extension spatiale (signe de sa vitalité et de son attractivité) et de développement inclusif. Mais sa modernité se mesure aussi à la montée en gamme de ses activités économiques, détachées des secteurs traditionnels, insérées dans la mondialisation, proposant des services rares aux habitants (Dans les domaines de la formation, de la santé et de la culture) et surtout aux entreprises. 

Dans quelles mesures peut-on affirmer que Mumbai, dans ses contradictions entre modernité et inégalités, est le témoin de la croissance parfois très mal maîtrisée des grandes métropoles de l’Asie du Sud et de l’Est quand elles sont insérées dans la mondialisation ?

Mumbai est la capitale économique et le reflet de la modernité indienne (I), à ce titre elle est aussi une des métropoles les plus inégalitaires du monde (II), et ce dans une large mesure justement parce qu’elle est « moderne ».

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                               Mumbai est incontestablement le miroir de la modernité en Inde et de l’Inde : depuis la libéralisation de l’économie indienne au mitan des années quatre-vingt dix, Mumbai est devenue une métropole insérée dans la mondialisation (1). Mais Mumbai est également le reflet des transformations sociales de l’Inde en forte croissance économique (2).

                Représentant 10% du Produit Intérieur Brut (PIB) de l’Inde, mais 25% de sa production industrielle, 33% de l’impôt sur le revenu prélevé en Inde, 40% du commerce extérieur du pays et 65% de son trafic maritime (Bombay vient du portugais « Bom Bahia », la bonne baie), Mumbai est la Gateway indienne et la capitale économique du pays. L’essentiel des fonctions métropolitaines de Mumbai est situé dans l’extrême sud de la péninsule : le Central Business District (CBD) historique situé dans le quartier de Nariman Point puis de Worli s’est étendu avec la construction de deux nouveaux sites (Bandra Kurla et plus au Nord Oshiwara). Les deux principales bourses du pays s’y trouvent (La bourse fédérale, National Stock Exchange of India, crée en 1992 et la bourse de Mumbai, la Bombay Stock Exchange, BSE, la plus ancienne bourse asiatique fondée en 1873). La ville accueille aussi le marché des cotations automatisées, le Over The Counter Exchange of India créé sur le modèle du NASDAQ américain. L’indice boursier India Senses 30 qui regroupe les principales valeurs mobilières indiennes (1986) est utilisé pour suivre la santé économique de l’Inde dans le monde entier. Les autorités de régulations financières, le Securities and Exchange Board of India (SEB), y ont naturellement installées leur siège (1988). Si Mumbai a bâti sa puissance sur les industries textiles, mécaniques et l’activité portuaire, héritage de la colonisation britannique, Mumbai tient sa puissance de la tertiarisation de son économie. Principale place financière régionale, les capitaux de Mumbai s’investissent d’abord en Inde même : et son réseau de sites de production industrielle installés partout dans le pays confère à la métropole une très forte capacité à orienter les dynamiques économiques, et notamment industrielles, de l’Inde. Les aménagements routiers qui fluidifient les connexions entre les nouveaux centres (Worli) et les banlieues résidentielles (Comme Bandra) sont spectaculaires : le Bandra-Worli Sea Link, pont haubané de 5 kilomètres de long, avec ses 8 voies, témoigne du dynamisme et de la richesse de la ville. Cette ouverture sur le monde, aussi ancienne que la création au XVIIIe siècle du comptoir par les Britannique, fait de Mumbai un havre de tolérance religieuse où se côtoient toutes les confessions présentes en Inde : hindous, musulmans, sikhs, juifs, chrétiens, jaïns, parsis se fréquentent quotidiennement (Sans pour autant s’apprécier comme la montée du nationalisme hindou le démontre).

                Deuxième métropole de l’Inde en termes de population, derrière la capitale politique, New Delhi, elle accueille le principal centre de production cinématographique de l’Inde (« Film City », appelée familièrement « Bollywood », située au Sud du parc national Sanjay Gandhi, à la lisière de la municipalité de Mumbai) : on y produit plus de 1300 films par an (Contre 800 aux États-Unis et 300 en France). Même si une bonne part de cette production (55%) est destinée au marché local et tourné en langue mahratte et en hindi plutôt qu’en Anglais. Le cinéma indien de Bollywood s’est internationalisé (Par exemple le film Dhobi Ghat, de Kiran RAO, 2011, avec Aamir KHAN et Monica DOGRA qui évoque les aventures d’un habitant d’un des bidonvilles de Mumbai). Si les codes du film indien sont conservés (Histoire d’amour contrarié, longues parties chantées et dansées, durée des films supérieures à la norme mondialisée) les productions de Bollywood s’adaptent à un public très divers (Mondes indiens, Proche Orient et Afrique anglophone, plus rarement Europe et Amérique du Nord). La ville accueille des productions étrangères qui font aussi la promotion du dynamisme urbain (Slumdog millionnaire, de Danny BOYLE, 2008, avec Dev PATEL). La ville, très attractive du fait de sa croissance économique soutenue et de son statut de capitale financière et commerciale de l’Inde, est jeune : la moyenne d’âge est inférieure à 30 ans. En conséquence, Mumbai est l’un des tous premiers centres de production de connaissance de l’Asie : l’Université de Mumbai (fondée en 1857) compte plus de 350 collèges et 38 départements. L’État du Maharastra a investi massivement dans l’éducation et la recherche : la « Société pour la connaissance du Maharastra » finance et pilote cette économie de la connaissance dont Mumbai est la capitale. Le Centre de recherche atomique Bhabha, l’Institut Indien de Technologie de Bombay (IIT-B), ou dans le domaine économique et commercial l’Institut de Gestion et de Recherche S.P. Iain sont des institutions d’envergure continentale. Le système des castes d’adapte à ces mutations sociales profondes et une caste des entrepreneurs a été créée pour insérer les patrons dans la hiérarchie religieuse traditionnelle. Le poids économique de Mumbai né de l’orientation portuaire coloniale a été renforcé par les lois de décentralisation (1992) qui ont données aux villes comme Mumbai des outils légaux pour aménager leur territoire : en conséquence la pauvreté forte dans les megacities (17% des habitants vivent en dessous du seuil de pauvreté) y est cependant moins forte que dans les petites villes (23% des habitants y sont pauvres).

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                Si Mumbai est le miroir de l’Inde moderne, elle est aussi une ville profondément inégalitaire. Certaines de ces inégalités sont le produit de sa très forte croissance démographique et spatiale (1), d’autres inégalités sont le produit d’un mélange entre des logiques anciennes des castes et des dynamiques récentes qui voient la classe moyenne indienne cultiver l’entre-soi (2).

L’aire urbaine de Mumbai regroupe plus de 20 millions d’habitants. Elle est constituée de la ville de Mumbai proprement dite, située sur la péninsule de Nariman Point face à la Mer d’Oman (En fait un archipel transformé en péninsule à l’époque de la colonisation britannique), et de la région métropolitaine de Mumbai qui s’étend dans l’État du Maharastra, de peuplement Mahratte. La croissance urbaine de Mumbai a lieu essentiellement lors de l’ouverture économique de l’Inde dans les années 1990’. Mumbai voit sa population passer de 5 à 12 millions d’habitants entre 1970 et 1990, puis doubler entre les années 1990’ et 2010. La croissance urbaine de Mumbai est incontrôlable : elle se nourrit des migrations quotidiennes des paysans indiens ruinés par la concurrence mondiale et l’accaparement des terres par les féodalités rurales très puissantes. La ville de Mumbai compte peut-être 12 voire 16 millions d’habitants (Plus que la Grèce et deux fois plus que le Burkina Faso par exemple). La croissance urbaine pose des problèmes dramatiques en logements : plus de 50% de la population de la ville vit dans des bidonvilles (Les slums), certains anciens et équipés d’électricité et d’infrastructures scolaires, d’autres récents et qui s’apparentent plus à des campements qu’à des logements. Les slums les plus anciens sont situés à deux pas des quartiers les plus chics de Bandra et des nouveaux quartiers d’affaires comme Worli. C’est le cas du bidonville de Dharavi par exemple (1 million de personne s’entassent sur 1,5 kilomètres carrés). Mais c’est aussi la ville indienne qui compte le plus grand nombre de millionnaires, et la ville la plus corrompue de l’Inde : 50% de l’argent sale en circulation en Inde en provient ! Les fractures socio-spatiales sont fortes : la ville se développe le long des deux voies ferrées qui partent du Sud de la péninsule pour contourner au Nord, le parc national de Sanjay Gandhi. Ces deux voies transportent chaque jour plus de 6 millions de voyageurs. Vers l’Est, les banlieues sont plus pauvres, plus excentrées, moins bien reliées à la péninsule originelle et marquée par une activité ouvrière textile importante. L’environnement est avec les pauvres l’autre victime de la modernisation de Mumbai : le parc Sanjay Gandhi est désormais encerclé par les habitations : les logements de luxe et les bidonvilles qui rognent le territoire des léopards sont construits illégalement. Le développement des infrastructures portuaires et aéroportuaires au Sud de Navi Mumbai entraîne une disparition progressive de la mangrove, milieux très fragile pourtant réserve de biodiversité très riche.

Si une partie des inégalités socio-spatiales visibles dans cette megacity qu’est Mumbai est le produit de la croissance économique et spatiale, une autre découle des hiérarchies et des logiques d’organisation sociale traditionnelle. Les écarts de richesse extrêmes dont Mumbai est le témoin ne sont que la traduction dans un concentré urbain des inégalités qui structurent l’Inde. La middle class indienne (Aux standards de consommation occidentaux) ne représente que 8% de la population indienne (Soit 90 millions d’habitants tout de même). Dans la ville de Mumbai, 26% des ménages possédaient une télévision, mais 5% seulement possédaient une voiture. Une situation comparable à celle de l’Inde urbaine. En Inde, seul 0,1% des ménages gagnaient plus de 1980€ par mois. Les pauvres vivent de moins en moins près des riches et de la middle class : immeubles de luxe, parcs résidentiels surveillés, centres commerciaux (malls) interdits aux pauvres, de plus en plus la middle class de Mumbai s’enferme, rejette les pauvres en dehors de son quotidien (Sauf aux fins de domesticité). Même la défense de l’environnement peut être le prétexte à renforcer la gentryfication : les Indiens de la classe moyenne sont plus séduits par les thèmes environnementaux que sociaux, et la volonté de protéger le parc Sanjay Gandhi des occupations illégales, les projets de constructions d’espaces verts (Parcs de loisirs) ou de protection de la mangrove permettent de chasser les habitants des bidonvilles très loin en périphérie de la mégapole. Certes la société indienne est structurée sur les inégalités : inégalités entre religions (Les Hindous sont surreprésentés dans les instances politiques et économiques), entre purs et impurs (Les Brahmanes sont considérés comme la caste la plus pure). Et en zone rurale le degré de violence à l’égard des pauvres est inouï (Tarun TEJPAL, Histoire de mes assassins, 2009). Mais les dynamiques économiques récentes ont entrainé une paupérisation rapide des Brahmanes, enfermés dans des règles de vie très contraignantes et très strictes. La modernité indienne a adouci certaines inégalités (Celles frappant les « intouchables », les dalits) elle en a créé d’autres (La paupérisation des campagnes et des Brahmanes par exemple). Elle a surtout entrainé des comportements nouveaux face aux inégalités : hier tenaillée par une mauvaise conscience héritée du message égalitariste de Gandhi et socialiste de Nehru, la classe supérieure indienne ne veut plus se mêler durablement aux classes sociales inférieures (Pavan K. VARMA, The great Indian middle class, 1998 dans lequel l’auteur se moque de la petitesse spirituelle et politique des nouveaux riches indiens).

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                               Mumbai est inégalitaire parce qu’elle est moderne. En cela, elle témoigne des contradictions d’une société en pleine mutation mais aussi de la mondialisation en elle-même qui a entraîné, ces cinquante dernières années, une diminution des inégalités à l’échelle mondiale au prix d’une augmentation des inégalités à l’échelle domestique. Mumbai est encore une ville des pays émergents où les inégalités sociales et de genre sont poussées à leur paroxysme, mais elle est aussi l’archétype de toutes ces « îles » de l’Archipel Mégalopolitain Mondial (AMM).

On signalera ainsi qu’à San Francisco, par exemple, on trouve conjointement la plus grande concentration de millionnaires des États-Unis comme la plus grande concentration de Sans Domicile Fixe (SDF) du pays. Dans le même ordre d’idées, New York est la ville américaine la plus riche des États-Unis dans laquelle cependant le revenu moyen par habitant est plus faible que la moyenne en Amérique. Mumbai est donc loin d’être une exception, une aberration ou le témoin d’une croissance asiatique mal maîtrisée mais plus simplement le portrait robot de ce qu’un monde fortement dérégulé peut produire de richesses et d’injustices.

 © Erwan BERTHO (2017, juin 2018)

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