HISTORIOGRAPHIE – LANGLOIS & SEIGNOBOS, Introduction aux études historiques. , 1898 (1/3)

ÉPISTÉMOLOGIE DE L’HISTOIRE

Charles-Victor LANGLOIS et Charles SEIGNOBOS, Introduction aux études historiques. , 1898

« Construire l’œuvre historique. »

« […] Nous nous proposons ici d’examiner les conditions et les procédés, et d’indiquer le caractère et les limites de la connaissance en histoire. Comment arrive-t-on à savoir, du passé, ce qu’il est possible et ce qu’il importe d’en savoir ? Qu’est-ce qu’un document ? Comment traiter les documents en vue de l’œuvre historique ? Qu’est-ce que les faits historiques ? Et comment […] construire l’œuvre historique ? [18] […] l’histoire est sans doute la discipline où il est le plus nécessaire que les travailleurs aient une conscience claire de la méthode dont ils se servent. [22] […] Quant au public, qui lit les œuvres des historiens, n’est-il pas à souhaiter qu’il sache comment ces œuvres se font, afin qu’il soit davantage en mesure de les juger ? [25] […] L’histoire se fait avec des documents. Les documents sont les traces qu’ont laissées les pensées et les actes des hommes d’autrefois. […] Car rien ne supplée aux documents : pas de documents, pas d’histoire. [29] […] Thucydide, Froissart, et bien d’autres, depuis l’antiquité jusqu’à nos jours, ont procédé de la sorte. [31] Or, pour vérifier l’authenticité et la provenance d’un document, deux conditions sont requises : raisonner et savoir. Autrement dit, on raisonne à partir de certaines données positives, qui représentent les résultats condensés des recherches antérieures, qu’il est impossible d’improviser et qu’il faut, par conséquent, apprendre. [55] […] Posons du moins que le bagage préalable de quiconque veut faire en histoire des travaux originaux doit se composer (en dehors de cette « instruction commune », c’est-à-dire de la culture générale, […]) de toutes les connaissances propres à fournir les moyens de trouver, de comprendre et de critiquer les documents. [56] […] Et puis, les spécialistes eux-mêmes se trompent : les paléographes ont à se tenir constamment sur leurs gardes pour ne pas déchiffrer de travers ; est-il des […] philologues qui n’aient pas quelques contresens sur la conscience ? [60 et 61] […] Les faits ne peuvent être empiriquement connus que de deux manières : ou bien directement si on les observe pendant qu’ils se passent, ou bien indirectement, en étudiant les traces qu’ils ont laissées. [65] […] Ces traces, que l’on appelle documents, l’historien les observe directement, il est vrai ; mais, après cela, il n’a plus rien à observer ; il procède désormais par voie de raisonnement, pour essayer de conclure, aussi correctement que possible, des traces aux faits. Le document, c’est le point de départ ; le fait passé, c’est le point d’arrivée. Entre ce point de départ et ce point d’arrivée, il faut traverser une série complexe de raisonnements, enchaînés les uns aux autres, où les chances d’erreur sont innombrables ; la moindre erreur, qu’elle soit commise au début, au milieu ou à la fin du travail, peut vicier toutes les conclusions. La « méthode historique », ou indirecte, est par là visiblement inférieure à la méthode d’observation directe ; mais les historiens n’ont pas le choix : elle est la seule pour atteindre les faits passés [66] […] Parfois le fait passé a laissé une trace matérielle (un monument, un objet fabriqué). Parfois, et le plus souvent, la trace du fait est d’ordre psychologique : c’est une description ou une relation écrite. […] La trace psychologique, au contraire, est purement symbolique : elle n’est pas le fait lui-même ; elle n’est pas même l’empreinte immédiate du fait sur l’esprit du témoin ; […] Les documents écrits n’ont donc pas de valeur par eux-mêmes, comme les documents matériels ; ils n’en ont que comme signes d’opérations psychologiques, compliquées et difficiles à débrouiller. [] […] Ainsi le travail historique est un travail critique par excellence ; lorsqu’on s’y livre sans s’être préalablement mis en défense contre l’instinct, on s’y noie. [70] […] Il serait absurde de chercher des renseignements sur un fait dans les papiers de quelqu’un qui n’en a rien su, ni rien pu savoir. Il faut donc se demander tout d’abord, quand on est en présence d’un document : « D’où vient-il ? Quel en est l’auteur ? Quelle en est la date ? » — Un document dont l’auteur, la date, le lieu d’origine, la provenance, en un mot, sont totalement inconnaissables, n’est bon à rien. [83] la méthode consiste à résister au premier mouvement. Il faut se pénétrer de ce principe […] qu’un document ne contient que les idées de l’homme qui l’a écrit  [126] Les faits historiques proviennent de l’analyse critique des documents [175] […] »

LANGLOIS (Charles-Victor) et SEIGNOBOS (Charles), Introductions aux études historiques. , 1898, Paris, aux éditions Hachette, 131 pages, 1992, Paris, aux éditions Kimé, 284 pages. Les nombre entre crochets renvois aux pages de l’édition originale. Version numérisée par Pierre PALPANT, sélection des passages réalisée par Erwan BERTHO.

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