DEVOIRS & CORRECTIONS – Étude critique de deux documents de Géographie, « Acteurs et débats de la mondialisation. »

Étude critique de deux documents de Géographie – Correction

Sujet  – La mondialisation ; acteurs et débats.

Document 1 « Extraits de l’intervention de Pascal LAMY, ancien directeur général de l’OMC, prononcée le 28

octobre 2013 » & Document 2 « Caricature de Plantu parue dans Le Monde en 2002 »

                                Considérée jusqu’en 2008 comme « inéluctable, ubiquiste et irréversible » (LOMBARD et alii, 2006, La mondialisation côté Sud. Acteurs et territoires, IRD  ENS éditions), la mondialisation est l’objet d’une remise en question plus intense depuis la crise des subprimes (2008) aux États-Unis, des dettes souveraines (2009) en Europe, et de l’ensemble de la zone Euro (2010). 

Les deux documents proposent une lecture parfois diamétralement opposée du fonctionnement, des acteurs et des débats suscités par la mondialisation. Le document intitulé « Extraits de l’intervention de Pascal LAMY, ancien président de l’OMC, prononcée le 28 octobre 2013 » propose une vision apaisée de la mondialisation, et très édulcorée de ses limites et des débats qu’elle suscite. Pascal LAMY, ancien directeur général de l’Organisation Mondiale du Commerce (Genève, OMC) est un libéral convaincu, qui semble voir dans les travers de la mondialisation libérale des économies une « maladie infantile » de la mondialisation et la manifestation d’un rôle encore trop marginal des institutions libérales qui mondialisent (Dont l’OMC, évidemment). Au contraire, PLANTU, le caricaturiste du Monde (Quotidien national français de centre-droit), dénonce (2002) les travers structurels de la mondialisation, et en particuliers sa captation par les « riches », pays, institutions et firmes transnationales (FTN).

La confrontation de ces deux documents nous permet-elle d’avoir une vue raisonnablement juste des acteurs qui mettent en œuvre la mondialisation et des débats qu’elle génère ?

Dans un premier moment, nous verrons que ces deux documents permettent de connaître les acteurs principaux de la mondialisation, et dans un second moment nous verrons que ces documents abordent d’une manière assez superficielle les débats que la mondialisation suscite.

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                                L’extrait de l’allocution prononcée par Pascal LAMY (2013) et la caricature de Plantu parue dans Le Monde (2002) permettent d’avoir une connaissance assez complète des acteurs qui mettent en œuvre la mondialisation, et ce à toutes les échelles.

                Les acteurs principaux de la mondialisation sont d’abord les États, et les Organisations Intergouvernementales (OIG) qu’ils constituent, à l’instar de l’Organisation Mondiale du Commerce (OMC) dirigée par Pascal LAMY (2005-2013), (« […] il appartient toujours aux États de prendre des engagements contraignants […] » (Lignes 22 et 23)). Un état de fait que Pascal LAMY regrette arguant que « […] Le système actuel reste plus international que mondial […] » (Lignes 21 et 22). Une réalité que PLANTU dans une de ses caricatures pour Le Monde (2002) reconnait et nuance : les États sont des acteurs de la mondialisation, ainsi qu’en témoignent les drapeaux des États du Sud, parmi lesquels on reconnaît celui du Brésil (à gauche en bas). PLANTU en plaçant celui des États-Unis en haut, et en très grand, rappelle cependant que tous les États ne sont pas d’égale importance, et qu’au dessus des États il y a des Firmes Transnationales (FTN), comme pourrait le signaler les dollars qui remplacent les étoiles du drapeau américain. Ces deux réalités, les États restent les acteurs majeurs dans la mondialisation, mais pas forcément de la mondialisation, et tous les États en fonction de leur richesse n’ont pas le même poids dans le processus de mondialisation, sont largement vérifiées par les données de la Géographie et les logiques géopolitiques. Les États restent les maîtres d’œuvre de la législation, en particulier celle régissant le travail, la fiscalité et les flux commerciaux, législation sans laquelle il n’est pas d’Investissements Directs Étrangers (IDE) : c’est par exemple l’Irlande qui sous taxe les bénéfices et attire chez elle les GAFAM (Google, Amazon, Facebook, Apple et Microsoft) en pratiquant un dumping fiscal au détriment de ses propres partenaires de l’Union Européenne (UE). C’est l’État, encore, qui conduit les politiques de recherches expérimentales, de très longue alêne, impossibles à financer par les groupes privés, comme ARPANet (1969) fut financé par le gouvernement fédéral (US Air Force) avant de devenir « Internet » et d’être rentable (1983). Ponts, routes, les ouvrages d’art en général sont soit financés par les États, soit par le biais de Partenariat Public-Privé (PPP), l’État louant les réalisations jusqu’à leur paiement complet (Comme le port d’Owendo au Gabon, construit par la société singapourienne OLAM pour le compte du gouvernement gabonais). Les États enfin sont les bailleurs de fonds des OIG, et leur poids décisionnaire est souvent la résultante des quotes-parts qu’ils versent : c’est le cas à l’OMC, au Fonds Monétaire International (FMI, peut-être représenté par PLANTU avec la femme en tailleur qui pourrait être Christine LAGARDE) et au groupe Banque mondiale.

Il est intéressant de constater que pour Pascal LAMY, l’État représente aujourd’hui l’échelle locale de l’analyse, qu’elle soit économique ou sociale : ainsi il déclare « […] ces questions ne sont plus locales mais mondiales […] Elles ne peuvent pas êtres conduites dans le seul cadre national […] » (Ligne 8 puis lignes 13 et 14). Oblitérant ainsi toutes les échelles inférieures à l’échelle nationale (Les régions, les communautés locales institutionnelles comme les villes et leurs municipalités ou informelles comme les communautés urbaines ou rurales alternatives). C’est pourtant aussi à cette échelle véritablement locale du terroir, de la commune ou du quartier même que se construisent d’autres mondialisations, voire les résistances à la mondialisation libérale des économies. Cet altermondialisme dont PLANTU dans sa caricature moque gentiment la cacophonie en multipliant les drapeaux sous la table des grands. En revanche, PLANTU, comme Pascal LAMY, ne sont pas dupes et savent qu’aux côtés des États d’autres acteurs privés agissent : « […] certaines organisations, entreprises internationales ou ONG mondiales, sont plus puissantes et influentes que nombre des deux cents États-nations du monde […] » (Lignes 24 à 26). PLANTU fait directement référence aux FTN en mettant sur ses cavaliers de réunion (sur la table du haut) « Davos » et « Forum économique », (Davos étant le lieu du plus ancien rassemblement de dirigeants, essentiellement économiques, de la planète ; le « Forum économique mondial », 1971), et « New York » qui est le siège des plus grandes banques d’affaires du monde (Goldman Sachs), et la plus puissante place financière (20 000 milliards de dollars de capitalisation boursière, soit l’équivalent du  quart du Produit Intérieur Brut, PIB, mondial). Les Chiffres d’Affaire (CA) des principales FTN sont plus élevés que les PIB des Pays les Moins Avancés (PMA) : Nestlé, au CA de 76 milliards de dollars, au bénéfice de 7,6 milliards de dollars, est, par exemple, plus riche que le Niger (7,5 milliards de dollars de PIB/an). Le gros cigare dans la bouche d’un des décideurs du monde assis à la table du haut (dont les dents carnassières disent l’inhumanité et la satisfaction de soi) révèlent les sentiments plutôt tiers-mondistes de PLANTU. Au contraire, quand Pascal LAMY met côte à côte dans son inventaire des menaces comme « […] le protectionnisme, la cybercriminalité, l’évasion fiscale ou les migrations contraintes […] » (Ligne 12) on peut s’interroger sur l’impartialité de son jugement ; faut-il en effet vraiment croire que la cybercriminalité et l’évasion fiscale, qui sont effectivement des délits, sont à mettre sur le même pied que la question des réfugiés ou celle du protectionnisme, qui n’est pas – encore ? – un délit. De même les « […] ONG mondiales […] » (Lignes 24 et 25), comme World Wide Fund (WWF, ex-World Wildlife Fund), avec ses 6 000 employés et ses 700 millions de dollars de fonds, rivalise avec certains États, comme le Cameroun qui a délégué à WWF la prise de décisions dans le domaine de la gestion de ses forêts : les éco-gardes de WWF se sont d’ailleurs vus reprochés d’avoir chassés des populations aborigènes des forêts camerounaises au motif de préservation de la nature, comme l’auraient fait des policiers d’un véritable État. Certaines ONG mondiales sont donc aussi puissantes que des États pauvres.

                Les acteurs de la mondialisation sont d’abord publics (États et OIG), mais les acteurs privés comme les FTN ou les ONG « […] ont surfé sur la vague de la mondialisation pour devenir des acteurs mondiaux et se faire reconnaître comme tels […] » (Lignes 26 et 27). Mais si les deux documents sont relativement complémentaires pour connaître les acteurs de la mondialisation, ils restent très divergents sur les débats que la mondialisation soulève.

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                                Pour Pascal LAMY, le principal débat que soulève la mondialisation est d’ordre technique : comment passer d’une gouvernance internationale, où le pavage géopolitique reste celui des États, à une gouvernance mondiale, ou « globale » (Ligne 19), où des institutions supranationales pourraient prendre des décisions contraignants les États eux-mêmes. Pour PLANTU, la question majeure posée par la mondialisation est humaine : comment gérer un plus juste partage des décisions internationales entre riches et pauvres à l’échelle mondiale ?

                Le premier des débats sur la mondialisation posé par ces deux documents est celui de la gouvernance. Quelle gouvernance à l’échelle mondiale ? Pour Pascal LAMY, la mondialisation, qu’il qualifie de « […] grande transformation dans le monde actuel […] » (Lignes 1 et 2) et qui se caractérise selon lui par l’« […] interconnexion et d’interdépendance […] » (Lignes 3 et 4) impose au monde de nouveaux défis : « […] La réduction des émissions de carbone et la lutte contre l’épuisement des ressources halieutiques, la volatilité des monnaies, le protectionnisme, la cybercriminalité, l’évasion fiscale ou les migrations contraintes […] » (Lignes 10 à 12). Il passe en revue ici dans une sorte d’inventaire surréaliste à la Prévert des questions aussi diverses que la lutte contre le changement climatique et ses conséquences, l’instabilité économique, les migrations, le développement des mafias à l’échelle mondiale. Aucune de ces remarques n’est infondée en soi, même si on a déjà dit que cet inventaire était tendancieux. Il est vrai que les mafias chinoises dominent la contrebande de l’ivoire et du bois en Afrique subsaharienne, les paradis fiscaux font l’objet d’une lutte de l’ONU et du G20 depuis 2008, le Groupe d’experts Intergouvernemental sur l’Évolution du Climat (GIEC) pilote la réponse mondiale à la dégradation environnementale… Mais Pascal LAMY en tire une conclusion intéressée : « […] Disposons-nous d’un système de gouvernance mondiale adéquat pour résoudre ces problèmes ? À mon sens non. […] » (Lignes 15 et 16). Il explique plus loin ce qu’il entend par là : « […] nous souffrons d’un déficit de gouvernance globale. Ce n’est pas faute d’avoir un système international. […] » (Lignes 19 et 20). Ce qu’il entend par « gouvernance mondiale » c’est une gouvernance orchestrée par des institutions ayant la capacité de contraindre les États à prendre des mesures communes. Pascal LAMY a raison de déplorer l’absence d’une gouvernance globale : les reculades des États-Unis sur leurs engagements climatiques (COP XXI de Paris en 2015, et COP XXII Marrakech en 2016) montrent que les volontés politiques sont sujettes aux conjonctures politiques (Élection de Donald TRUMP à la présidence, 2016) ou économiques (Les crises étant des moments peu propices aux engagements contraignants). Mais il oublie aussi de dire que les organisations internationales aptes à piloter cette gouvernance mondiale (OMC, FMI, Banque mondiale) ne sont pas des institutions démocratiques : elles sont dirigées par des fonctionnaires internationaux, les droits de vote sont déterminés par la richesse respective de leurs membres. Il oublie aussi de dire qu’une partie de la planète vit depuis longtemps sous les décisions contraignantes des OIG financières : c’est le cas des 48 PMA, qui vivent des crédits octroyés par ces OIG et qui n’ont plus la marge de manœuvre de contester leurs décisions. Or leur expertise en matière de gouvernance est sujette à caution, comme les échecs des Plan d’Ajustement Structurel (PAS) dans les années quatre-vingt l’ont montré à l’envi. La caricature de PLANTU montre avec finesse cette asymétrie dans les relations entre riches et pauvres en mondialisation : les décideurs de la table du haut ont besoin d’un cornet acoustique (Instrument ancien pour les sourds !) pour entendre les revendications des pays du Sud (Représentés par un patchwork de couleurs de peau et de vêtements : on voit une africaine en foulard portant son enfant sur le dos à la manière des Sahéliennes, 3ème personnage en partant de la droite).

                La question de la structure de la gouvernance mondiale est au cœur de la réflexion des altermondialistes. Cette mouvance idéologique, marquée à l’extrême-gauche, est à l’origine du « Forum social mondial » dont les trois 1ers se tinrent à Porto Alegre au Brésil (2001, 2002 et 2003). Bien sûr, les institutions internationales ont pris acte de l’émergence économique et géopolitique de certaines puissances régionales ou mondiales depuis la fin de la « Guerre froide » (1947-1991). La République Populaire de Chine (RPC), le Brésil, la Russie, l’Inde, l’Indonésie, et l’Afrique du Sud (qui forment les BRIICS) investissement lentement les instances de la gouvernance mondiale. La RPC est entrée à l’OMC, au FMI où sa monnaie (Le Renminbi) participe à la détermination des Droits de Tirage Spéciaux (DTS), la « monnaie » du FMI. La gouvernance financière et économique mondiale s’est désincarcérée de l’architecture héritée de la Seconde Guerre mondiale (1939-1945) constituée du General Agreement on Tariffs and Trade (GATT) et du système de Bretton Woods (1944-1972) : le G20 a remplacé le G8 par exemple, accueillant des pays riches mais peu industrialisés (Comme les monarchies pétrolières du Golfe arabo-persique). Mais les logiques de fonctionnement de la mondialisation ne changent pas : étendue à des pays nouvellement enrichis, la mondialisation reste d’inspiration libérale. Bien sûr Pascal LAMY peut rappeler « […] Les faits et les chiffres indiquent que la mondialisation s’est traduite à la fois par un recul immense de la pauvreté et un creusement marqué des inégalités […] » (Lignes 5 et 6). Et c’est vrai : le PIB mondial a cru, les inégalités entre pays riches et pauvres se sont réduites, une certaine translation de fortune a eu lieu. Mais elle s’est traduite par des effets pervers très graves. Les inégalités domestiques (À l’intérieur des pays) ont explosé : les politiques menées par DENG Xiaoping depuis 1979 ont sorti un milliard de Chinois de la misère, mais en faisant cohabiter des milliardaires en dollars avec des travailleurs migrants illégaux (Les Mingong) privés de tous droits sociaux et juridiques. Dans la Triade (Amérique du Nord, Europe de l’Ouest et Asie de l’Est) le phénomène des « travailleurs pauvres » s’est banalisé : jeunes, femmes sans qualification, ouvriers spécialisés, retraités, les déçus et les spoliés de la mondialisation se voient à des échelles véritablement « locales », celles que Pascal LAMY – qui ne voit pas plus près que l’État – ne peut apercevoir. La France, dont le PIB est l’équivalent de celui de l’Afrique toute entière, compte 9 millions de pauvres, soit 12% de la population, avec un niveau de vie moyen de 760€/mois en constante diminution chaque année. Et cet état de fait se retrouve à l’échelle mondiale : les PMA qui représentaient en 1971 2% du PIB du reste de la planète n’en représentent plus que 1%, leur richesse relative a été divisée par deux en un demi-siècle. Et comme l’ajoute ingénument Pascal LAMY « […] la nature est endommagée […] » (Ligne 7). Ce que Pascal LAMY ne dit pas, c’est qu’une large partie de la responsabilité de ces inégalités vient non pas d’un « déficit de gouvernance globale » mais du système libéral lui-même (qui met en concurrence les territoires et les sociétés qu’ils portent) et du modèle de développement fordiste (Production de masse et consommation de masse), très pollueur et dévoreur de matières premières. Or les institutions appelées à jouer, selon Pascal LAMY, un rôle « contraignant » (Ligne 23) comme le FMI, l’OMC ou la Banque mondiale, sont toutes convaincues des vertus du libéralisme et du fordisme. Leur donner plus de puissance ne changera en rien les logiques de fonctionnement de la mondialisation.

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                                Les documents rendent compte des deux principaux regards portés sur la mondialisation, son fonctionnement et ses logiques : Pascal LAMY se fait le porte parole de la mondialisation technocratique, favorable à la constitution d’un grand marché mondial supervisé, plus que régulé, par des institutions supranationales, dont on imagine qu’elles échapperont, comme aujourd’hui, largement aux peuples et aux mécanismes démocratiques. PLANTU pose d’abord la question de la régulation actuelle de la mondialisation : plus que de souffrir d’un déficit de gouvernance globale elle souffre d’abord d’un déficit d’humanité, les riches ayant du mal à entendre les voix, il est vrai parfois discordantes, des « Suds ».

© Souleymane ALI YÉRO, Erwan BERTHO et Ronan KOSSOU (2017).

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Etude_critique_de_deux_documents_Geographie_Acteurs_&_debats_mondialisation_Correction

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Bac_Blanc_TES&S_2017-2018_octobre_2017

Articles complémentaires :

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