ANTHOLOGIE – 1945-1964, Léopold Sédar SENGHOR, Chants d’ombre. « Femme noire. »

« Femme noire. »

 « […] Femme noire

Femme nue, femme noire

Vêtue de ta couleur qui est vie, de ta forme qui est beauté !

J’ai grandi à ton ombre ; la douceur de tes mains bandait mes yeux.

Et voilà qu’au cœur de l’Été et de Midi, je te découvre, Terre

promise, du haut d’un haut col calciné

Et ta beauté me foudroie en plein cœur, comme l’éclair d’un aigle.

 

Femme nue, femme obscure !

Fruit mûr à la chair ferme, sombres extases du vin noir, bouche qui

fais lyrique ma bouche

Savane aux horizons purs, savane qui frémis aux caresses ferventes

du Vent d’Est

Tam-tam sculpté, tam-tam tendu qui grondes sous les doigts du

vainqueur

Ta voix grave de contre-alto est le chant spirituel de l’Aimée.

 

Femme nue, femme obscure !

Huile que ne ride nul souffle, huile calme aux flancs de l’athlète,

aux flancs des princes du Mali

Gazelle aux attaches célestes, les perles sont étoiles sur la nuit de

ta peau

Délices des jeux de l’esprit, les reflets de l’or rouge sur ta peau qui

se moire

Á l’ombre de la chevelure, s’éclaire mon angoisse aux soleils prochains de tes yeux.

 

Femme nue, femme noire !

Je chante ta beauté qui passe, forme que je fixe dans l’éternel

Avant que le destin jaloux ne te réduise en cendres pour nourrir les

racines de la vie

 

[…] »

SENGHOR (Léopold Sédar), Chants d’ombre. 1964, Paris, éditions du Seuil, in Œuvre poétique. , réédition en 2006, 426 pages.

ISBN 978-2020857680

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