MANUEL DE LITTÉRATURE – Racines, origines, héritages

MANUEL DE LITTÉRATURE

Littérature et sociétés

Thème :Racine, origine, héritage

 

Biographie :

Mauritanien, originaire d’Atar dans le nord du pays, Mbarek Ould Beyrouk est né en 1957. Après des études de droit, il se lance dès 1985 dans la presse audiovisuelle d’abord, puis écrite. Fondateur, en 1988, du premier périodique indépendant de son pays, Il exerce toujours actuellement le métier de journaliste. Et le ciel a oublié de pleuvoir est son premier roman.

Beyrouk nous offre dans son premier roman les itinéraires croisés de trois personnages emblématiques de la Mauritanie indépendante, où s’affrontent tradition et modernité. Mahmoud l’ancien esclave, Lolla la femme rebelle, et Béchir le chef de tribu, vont nouer des liens de haine, de désir et de sang qui, en quelques épisodes hiératiques et violents, vont les mener vers l’accomplissement de leur destin. Mahmoud vit par la haine de ses anciens maîtres, et son désir de vengeance des sévices subis par lui et sa mère lui fait gravir les échelons du pouvoir de la capitale, afin de revendiquer son existence aux yeux des seigneurs traditionnels du pays maure, et de leur infliger à son tour humiliation et mépris.

Hommes et femmes, pétris de frustrations, de lâcheté ou d’orgueil, ne semblent pouvoir se rencontrer que dans un appétit insensé de liberté, de sexe, et de pouvoir. Le ton des personnages narrateurs est marqué par cette violence, où le lyrisme du désir, l’élégie des bonheurs perdus, les calculs des ambitions, et les fureurs prophétiques se succèdent dans le beau et sombre tableau d’une société en quête de sa vérité.

Extraits de Et le ciel a oublié de pleuvoir, 2006 livre de Beyrouk

         Béchir

Béchir est l’un de ses seigneurs, qui transige avec le pouvoir central de Nouakchott afin de préserver ce qui reste du de l’honneur et de l’unité de sa tribu, face à son bras armé tout-puissant et féroce qu’est devenu Mahmoud. Il doit jouer quitte ou double avec celui-ci, qui ne lui offre que la soumission humiliante, ou la mort. Son destin se fige le jour où son regard croise celui de la jeune Lolla, avec qui il croit pouvoir facilement épuiser son désir par un mariage forcé.

« […] Je m’appelle Béchir, fils de Bakar, fils de Lehbib, le sabre et le fusil et la tente et la couronne de Oulad Ayatt. Aujourd’hui on aime dire que tout cela est fini, que nos anciennes valeurs sont mortes, mais cela n’est pas vrai. Les siècles ont imprimé, et pour toujours, leurs empreintes sur les fronts des gens. Je resterai toujours Béchir, fils de Bakar, chef de la tribu des Oulad Ayatt.

Aujourd’hui, c’est vrai, le monde n’est plus tout à fait ce qu’il a toujours été. Il ya les gendarmes, il ya l’administration, il ya les impôts, il ya l’école, il ya la politique. Mais tout cela n’est qu’appât pour les pauvres cœurs broyés par la machine du temps. La vérité est ailleurs ; une montagne que les vents de ce siècle ne sauront ébranler et qui s’émeut seulement quand sont prononcés les noms de ceux qui par le sabre, l’étrier, les livres, les fusils l’ont gravie pierre par pierre jusqu’à atteindre les sommets. Ce sont les miens et ceux qui leur ressemblent. […] »

Celle-ci feint d’obéir aux ordres du chef, de ses parents, et de toute la tribu, mais s’enfuit le soir de ses noces, vers l’avenir qu’elle se sera elle-même choisi. Alors commence une course-poursuite entre ces trois personnages, qui les précipite vers l’affrontement final, d’où aucun ne sortira vainqueur.            

Lolla

Rien ne manque à l’engrenage tragique, pas même les personnages secondaires en demi-teintes, en contrepoint des éclats sombres du premier plan : Ahmed, le jeune amant timide de Lolla ; le cousin des maîtres, seul souvenir pour Mahmoud de quelqu’un qui l’a compris et traité comme un être humain ; Kébir l’intégriste, le frère de Béchir, qui nie aussi bien les lois tribales que celles du nouvel Etat ; enfin Moulay le Fou, unique confident de Lolla, et par la voix duquel se clôt le récit : une fois silencieuse la scène recouverte de sang, seule vaticine cette parole paradoxale d’une lucidité douloureuse.

« […] Je suis Lolla et je n’appartiendrai ni aux tantes blanches des seigneurs des sables ni au mobilier cossu des citadins parvenus. Je me pavanerai libre, dans la voie parfumées que mes yeux, que mes seins, que tous mes appas charnels ont frayée. Je continuerai à puiser à pleines mains dans la vie que je me suis donnée. Un monde qui n’appartient qu’à moi, qui n’obéit qu’au seul vent de ma fantasque volonté ! […] Je ne suis pas une vaincue de la vie, je ne veux plus l’être.

Ahmed, lui, a courbé la tête et a dit oui ; il a renié le pacte sacré qui nous lie. Il est resté attaché au sabre étincelant et aux selles colorées, et aux boubous bleus, et aux fusils rouillés, et aux cheveux longs, et aux amulettes, et aux livres poussiéreux, et aux incantations des cheikhs, et aux prières de l’aube, et aux sarouals blancs, et au djemaa tribales, et aux phallus tumescents, et aux verges qui somnolent, et aux coursiers arabes, et aux chants des esclaves, et aux pleurs des vierges.[…] »

 

 

Mahmoud, l’ancien esclave

« […] Tout ce que je suis, je le dois à l’errance, au vent et à l’errance. J’ai parcouru tout nu l’immense espace qui me séparait de la vie, c’est-à-dire de cette bande noire qui s’étend à perte de vue et où crépitent les bruits des sabots des bêtes et sur laquelle passent en trombe des machines hurlantes et au bord de laquelle on ne rencontre que des inconnus. […] J’ai marché toute cette nuit-là pour rejoindre des inconnus, puis j’ai peu à peu embrassé le monde des inconnus, je les ai servis, je les ai trompés, je les ai volés, j’ai accepté leurs insultes, leurs ruades, puis j’en ai dominé certains, puis j’en ai dominé d’autres, puis j’ai appris, puis j’ai avancé, puis je suis devenu ce que je suis maintenant .

C’est grâce aux sécheresses et aux vents que j’ai pu m’en aller, quitter les grands espaces vides et rejoindre les cités. C’est parce que les troupeaux des maîtres sont tombés aux bords du puits asséché, c’est parce que le vent chaud a brûlé les herbes que j’ai pu partir et que personne n’a pus me suivre.

Et aujourd’hui encore, c’est quand les pluies tombent, quand le vert s’étend sur les étendues sahariennes, quand enflent les bosses des chameaux et engraissent les moutons que j’ai le cœur triste. Parce que sous chaque herbe, je vois dessinés les contours sombres de ma dure jeunesse. […] »

OULD BEYROUK (MBarek), Et le ciel a oublié de pleuvoir, 2006, Paris, aux éditions Dapper, 125 pages, pages 35 et suivantes, ISBN 2-915258-13-9

Synthèse & Numérisation © Ali Badara DIAOURÉ & Farida SOULEYMANE (janvier 2016)

 

Print Friendly, PDF & Email