Composition Géographie Terminale Les émergents dans l’économie mondiale

Deuxième partie : étude critique de document de Géographie

Sujet : Les pays émergents, nouveaux acteurs de la mondialisation

                Le document intitulé « Les pays émergents, acteurs de la mondialisation » est un extrait de l’article d’Axelle DEGANS, « Ces pays émergents qui font basculer le monde. », issu des « Grands dossiers » (n°24) de la revue française Sciences Humaines, consacré à « L’histoire des autres mondes » (septembre 2011). Dans cet extrait l’auteur analyse les forces et les faiblesses des plus riches des pays émergents, ces pays que l’Organisation des Nations Unies (ONU), à la suite de la banque d’affaires Goldman Sachs (1998), a nommé les BRICS, à savoir le Brésil, la Russie, l’Inde, la Chine et l’Afrique du Sud. Qu’est-ce qui fait de ces plus riches des émergents des acteurs de la mondialisation, c’est-à-dire des puissances capables d’influencer les dynamiques d’une économie désormais organisée à l’échelle d’un marché unique planétaire ? Si les BRICS sont riches et si leurs Firmes Transnationales (FTN) sont en situation de dominer le marché (I), leurs puissance diplomatique reste modeste même si elle s’affirme (II), alors que leurs divergences stratégiques et le coût environnemental et social de leur forte croissance hypothèquent encore leur avenir proche (III). 

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                Les BRICS dominent l’économie mondiale : comment cela se mesure-t-il et comment cela s’explique-t-il ? Les Firmes Transnationales (FTN) des BRICS sont aujourd’hui des acteurs majeurs de l’économie mondialisée. Axelle DEGANS les appelle même les « nouveaux conquistadores » (Ligne1) de la mondialisation et cite le Boston Consulting Group (Ligne 3) qui relevait (2007) que sur 100 nouvelles entreprises leaders (« les challengers », ligne 4) sur leur marché et qui venaient de détrôner les firmes historiques, 81 étaient originaires des BRICS et 50% étaient chinoises. Si certaines viennent des secteurs primaires (Le Brésilien Vale et la Russe Gazprom) et agroalimentaires, dans lesquels les pays du Sud sont spécialisés, comme fournisseurs mondiaux de matières premières, les BRICS ont aussi des FTN dans des secteurs plus sophistiqués : c’est le cas d’Embraer (Aviation, Brésil) et de China Mobil (Télécommunication). L’auteur cite le cas de Tata group, le géant indien de l’acier, qui s’est diversifié : après avoir lancé la construction en Inde de la « Tatamobile » destinée aux classes moyennes indiennes, le groupe de la famille Tata vient de racheter (2008) les thé Tetley et les marques automobiles britanniques Jaguar et Land Rover (lignes 13 et 14), des marques emblématique de l’ancienne puissance industrielle anglaise. On notera l’ironie quand une firme d’une ancienne colonie anglaise rachète les fleurons de l’industrie de l’ancienne puissance coloniale. Profitant de la crise des dettes souveraines (2009) qui a fragilisé les États de la Triade (Amérique du Nord, Europe de l’Ouest et Japon) les entreprises des BRICS rachètent des pans entiers des économies européennes : « […] Que dire du Pirée […] dont un embarcadère est concédé pour trente-cinq ans au Chinois Cosco […] » (Lignes 14 à 16). La Grèce, en situation de faillite et contrainte par l’Union Européenne (UE) de privatiser son économie, à trouvé dans les investisseurs chinois des sauveurs inespérés. Une situation que l’on retrouve dans bien d’autres pays. Axelle DEGANS le résume dans une formule lapidaire : « […] Le Sud se paie le Nord ! […] » (Lignes 17 et 18). François HEISBOURG, plus sobrement, conclue que les « […] les émergents [sont] les vainqueurs de la crise […] » (Lignes 18 et 19.). En s’emparant des entreprises leaders de l’extraction, de la transformation, et de la commercialisation les BRICS sont en effet en train de prendre pieds sur l’ensemble de la chaîne de production mondiale. Comment en est-on arrivé là ? Les délocalisations (Transferts d’unités de production vers des pays dits du Sud pratiquant le dumping social et fiscal) initiées dans les années soixante-dix et accélérées dans les années quatre-vingt ont permis d’importants transferts de capitaux (Par les Investissements Directs Étrangers, IDE), de savoirs faire et de brevets mais aussi d’emplois. Et ces emplois tirent maintenant une croissance industrielle de plus en plus déconnectées des filiales industrielles des pays du Nord et explique la naissance de ces grands groupes industriels. Le rôle protecteur des administrations publiques a été déterminant : il est flagrant en Chine où les firmes géantes sont en partie la propriété des « princes rouges », c’est-à-dire des caciques du Parti Communiste Chinois (PCC) et de leur famille. Il l’est également en République Fédérative de Russie où les « oligarques » (Milliardaires russes propriétaires des grandes entreprises, anciens cadres du KGB et du Parti Communiste de l’Union Soviétique, PCUS) où les dirigeants qui déplaisent au pouvoir sont déportés (Comme l’ancien oligarque Khordorkovki déporté en Sibérie pendant plus de 10 ans). Mais il est aussi vrai en Inde où les gouvernements successif veillent à la protection des marchés locaux : ainsi Wallmart, le géant américain du commerce de grande surface, est-il interdit en Inde.

                Cette puissance économique des BRICS se traduit-elle par un rôle diplomatique et géopolitique accru dans la mondialisation ? Divers signaux montrent que les BRICS transforment leur puissance économique en influence diplomatique et géopolitique. Le Fonds Monétaire International (FMI) a redistribué ses droits de vote en accordant une représentativité plus grande à des pays aussi divers que la République Populaire de Chine (RPC, un des BRICS), la Corée du Sud (Nouveau Pays Industrialisé d’Asie de 1ère Génération, NPIA-1) mais aussi la Turquie et le Mexique. (Lignes 20 à 24). Ces droits de vote obtenus au prorata des cotisations montrent surtout que de nouveaux pays sont capables de financer les institutions internationales chargées de réguler l’économie mondiale. C’est ce que l’Organisation de Coopération et de Développement Économique (OCDE) a appelé Le Grand Basculement de la richesse (Rapport de 2010). Comme le note Axelle DEGANS « […] l’influence des pays développés se dilue au profit des pays émergents […] » (Lignes 1 et 2, 2e colonne du texte). Incontestablement les pays émergents sont plus offensifs dans les instances internationales, en témoigne par exemple l’âpreté du Brésil dans sa lutte contre l’UE et les États-Unis à l’Organisation Mondiale du Commerce (OMC, basée à Genève) pour faire condamner les subventions des pays riches à leurs producteurs de sucre et d’orange. Combat finalement remporté par le Brésil. Ce basculement de richesse est-il pour autant un basculement de puissance ? Certes l’auteur note que « […] En 2010, le Brésil et la Turquie essaient de résoudre l’épineux dossier du nucléaire iranien […] » (Lignes 4 à 6, 2e colonne du texte). Mais Axelle DEGANS oublie de signaler que cette médiation fut un échec. En 2011 elle ne pouvait évidemment savoir que ce sont les rencontres directes entre les États-Unis et l’Iran (2014) qui permettront de trouver une solution… Effectivement, comme le note Axelle DEGANS, cela « […] met en relief l’échec de la suprématie politique de l’Occident […] » (Lignes 6 et 7, 2ème colonne du texte). Cet échec de la suprématie de l’Occident s’est manifesté de manière plus éclatante encore lors de la crise syrienne où une intervention militaire conjointe de la France et des États-Unis a été désamorcée par le front uni de la Chine et de la Russie, grands alliés du régime de Bachar AL-ASSAD. Le dynamisme diplomatique des émergents se manifeste aussi par la multiplication des partenariats géopolitiques Sud-Sud : c’est le groupe de Shanghai (Lutte contre le terrorisme) entre les anciennes républiques musulmanes de l’ex-Union des Républiques Socialistes Soviétiques (URSS, 1922-1991), la République Fédérative de Russie et la République Populaire de Chine (RPC). C’est aussi les rencontres entre l’Inde, le Brésil et l’Afrique du Sud (IBAS). De plus en plus d’ailleurs les émergents se rassemblent autour de projets desquels est exclue la Russie. Ainsi on parle de plus en plus des BASIC (Brésil, Afrique du Sud, Inde et Chine) plutôt que des BRICS. Les émergents mènent aussi des politique d’influence nationale : le Brésil noue des partenariats politiques et économiques avec la Tanzanie et le Mozambique sur la question des médicaments génériques, produits au Mozambique pour les antirétroviraux dans la lutte contre le VIH-SIDA. Les grandes rencontres sportives (Les Jeux Olympiques d’Hiver de Sotchi en Russie en 2014, la Coupe du Monde de la FIFA au Brésil en 2014, en Russie en 2018 et du Qatar en 2022) manifestent aussi ce « basculement de la richesse ». Mais de « l’échec de la suprématie » (En admettant que cette formule ait un sens) à un basculement de puissance il y a un pas encore difficile à franchir. Et ce d’abord parce que la politique de puissance des BRICS s’exprime d’abord à l’échelle régionale plutôt qu’à l’échelle mondiale : le Brésil envoie des casques bleus à Haïti mais pas en Centrafrique, la Chine a des accords militaires avec le Sri Lanka et la Birmanie pour établir des bases navales (Le fameux « collier de perles ») mais se contente de manœuvres navales secondaires avec le Gabon en Afrique centrale. La diplomatie des émergents est active mais elle a encore les pattes courtes de puissances régionales et qui souhaitent d’abord consolider leur assise régionale.

                Si le Sud ne peut pas se passer du Nord c’est parce que les émergents, et les BRICS en particuliers, ont des faiblesses qui hypothèquent leur avenir géopolitique et économique à moyen terme. Axelle DEGANS les résume en fin d’extrait : « […] La croissance insolente des pays du Sud […] avive les tensions sociales […] » (Lignes 9 et 10, 2ème colonne de l’extrait). Les écarts de richesses entre très riches et très pauvres se sont accrus dans « des pays très inégalitaires » (Lignes 10 et 11) comme l’Inde ou le Brésil. Comme tous les pays latino-américains le Brésil connaît le phénomène des « paysans sans terre ». Ceux-ci ne trouvent qu’occasionnellement à s’engager que sur les terres des latifundistes, propriétaires de domaines immenses : près de 50% de la richesse brésilienne est détenue par moins de 1% de la population. Les bidonvilles font partie du paysage urbain des grandes métropoles brésiliennes comme Rio ou Sao Paulo (Les fameuses favelas) mais aussi de Mumbaï, la capitale économique de l’Inde (50% du trafic maritime y transite), où 50% de la population vit dans des bidonvilles. Les populations qui y résident n’ont ni eau courante à domicile ni électricité et vivent encore au Tiers-Monde quand l’autre moitié de la population vit selon les standards de consommation de la Triade. La criminalité est forte et certains pans entiers de ses métropoles échappent au contrôle de l’État, qui doit parfois recourir à l’armée pour les reconquérir. Quand ce ne sont pas les milices rurales, comme au Mexique (2013-2014), qui tentent d’échapper à l’oppression des cartels de la drogue. Ces pays émergents sont souvent le théâtre de guerres civiles larvées (révoltes des Amérindiens d’Amazonie au Brésil) ou déclarées (Comme dans le Xinjiang chinois turcophone et musulman ou au Tibet bouddhiste occupé depuis 1950). La Chine et la Russie naguère communistes ont découvert le scandale de l’hyper richesse avec la libéralisation des économies : les voitures de luxe des dirigeants chinois côtoient donc les paysans Min gong déracinés et employés illégalement dans les gigantesques chantiers des Bâtiments et Travaux Publics (BTP). Si le coût social est lourd, le coût environnemental de la très forte croissance des BRICS l’est plus encore : à Pékin les pics de pollution font culminer les émissions cancérigènes de particules fines à plus de 14 fois les normes sanitaires européennes. La forêt amazonienne continue de se dégrader à un rythme inquiétant, représentant l’équivalent en superficie d’un département français par an. Dans quelles mesures ces inégalités sociales et ces dégradations environnementales représentent-elles un frein à l’affirmation géopolitique des BRICS ? Les pays émergents ne peuvent espérer continuer à séduire politiquement et diplomatiquement leurs voisins proches ou lointains si leurs populations s’agitent ou se soulèvent. Les révoltes arabes (2009-2013) ont montré combien, avec Internet et les réseaux sociaux, les masses urbaines avaient la faculté de se mobiliser durablement pour faire chuter des régimes (L’Égypte de Moubarak, la Libye de Kadhafi) jugés pourtant inébranlables. Que pèse le PCC avec ses 45 millions d’adhérents sur une population d’un milliard et demi d’habitants ? Que pèsent ces régimes s’ils ne sont pas capables de redistribuer la croissance durablement et équitablement ? La Chine l’a bien compris en acceptant les revendications des ouvriers chinois de la firme taïwanaise Foxconn, qui assure pour Apple la sous-traitance de la fabrication des « IPod » et « IPhone ». En réévaluant les salaires elle espère assurer sa croissance de plus en plus sur la demande intérieure et de moins en moins exclusivement sur les exportations. C’est ce que l’auteur note en disant « […] Les émergents doivent rééquilibrer leur croissance pour la pérenniser, la recentrer sur le marché intérieur. […] » (Lignes 14 à 16, 2ème colonne de l’extrait). Mais tous les pays du monde connaissent ce dilemme, peut-être exacerbé chez les BRICS, et plus visibles dans des sociétés devenues urbaines. Le frein majeur à l’affirmation de la puissance géopolitique des BRICS est ailleurs. Comme le note Axelle DEGANS « […] Les BRICS forment une association qui est certes un levier d’affirmation sur la scène internationale, mais reste trop hétéroclite pour former une alliance. […] » (Lignes 17 à 20). En effet les intérêts, en Afrique, de la Chine et du Brésil, aujourd’hui encore conciliables, ne le seront pas éternellement, sans compter les appétits impériaux de l’Afrique du Sud, qui vient de s’emparer de la présidence de la Commission de l’Union Africaine (UA) et n’entend certainement pas se faire évincer de ce qu’elle considère de plus en plus comme son « pré carré ». La Chine et l’Inde s’affrontent indirectement (Sri Lanka, Afghanistan) en finançant les adversaires des uns et des autres : l’Inde accueille le Dalaï Lama en exil et a soutenu l’indépendance du Pakistan Oriental (Bangladesh aujourd’hui), la République Populaire de Chine soutien le régime du Myanmar (Birmanie) et du Pakistan, ennemis de l’Inde. L’union affichée de la Russie et de la Chine dans la guerre contre les séparatistes musulmans s’efface derrière l’âpre rivalité en Sibérie orientale, russe selon les frontières, mais tombée dans l’orbite économique de la Chine. Les BRICS peinent encore à dépasser le cadre régional de leur puissance et se font remarquer le plus souvent par des positions diplomatiques conservatrices, favorables aux dictatures, ce qui ne peut que leur aliéner les masses populaires, opprimées, de ces pays « amis ».

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                Les pays émergents sont sans aucun doute des acteurs de poids dans la mondialisation : mais leur croissance assise sur les commandes des pays anciennement développés dits « du Nord » et les fortes tensions sociales qui les guettent (Russie, Chine) voire les agitent (Inde, Brésil) comme leurs divergences stratégiques (L’Inde contre la Chine, la Russie contre la Chine) font que les BRICS apparaissent plus comme une illusion cartographique que comme un pôle géopolitique.

1 Bac Blanc des TES&L février 2014 Correction sujet 3 M.BERTHO

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