PRÉPA BAC – SUJETS CORRIGÉS – Session 2010, Étude d’un ensemble documentaire, « Le Tiers-Monde, des principes fondateurs aux désillusions. »

 PRÉPA BAC – SUJETS CORRIGÉS

Session 2010

Attention! Cet exercice « Étude d’un ensemble documentaire » ne fait plus partie des exercices des épreuves d’Histoire-Géographie du Baccalauréat. Cependant le corrigé fournit nombre d’indications sur l’argumentation et ses méthodes et sur les questions débattues en classe en Première et en Terminale générales.

ÉTUDE D’UN ENSEMBLE DOCUMENTAIRE

Le Tiers Monde, des principes fondateurs aux désillusions politiques

Questions : 

1) Comment le Tiers Monde se définit-il par rapport au passé colonial ? (Documents 1 à 3)

            Le Tiers Monde se définit en rupture et en opposition par rapport au passé colonial. Nehru, Premier Ministre de l’Union Indienne et après avoir lu le communiqué final de la Conférence de Bandung (Indonésie, 24 avril 1955) commente la nouvelle donne géopolitique et idéologique instituée par la naissance du Tiers-Monde. « […] nous élevons notre voix contre l’hégémonie et le colonialisme dont beaucoup ont souffert pendant longtemps […] » (Lignes 1 et 14). Cette dénonciation des méfaits du colonialisme (Nehru parle de souffrance) s’illustre dans une affiche anticolonialiste égyptienne (1956). Cette année une expédition combinée anglo-française échoue à reprendre le canal de Suez nationalisé par le leader égyptien Gamal Abdel Nasser, chantre du panarabisme (Le slogan de l’affiche proclame « Par l’union des Arabes / La fin des forces coloniales »). L’Egypte par solidarité panarabe accueille les moudjahiddines du Front National de Libération (FLN) et notamment son aile politique constituée en un Gouvernement Provisoire de la République Algérienne (GPRA) dirigé par Ahmed Ben Bella. Le FLN combat pour la libération de l’Algérie alors territoire de la République française. Les colonialistes sont représentés sous la forme d’une bête monstrueuse mi-crocodile mi-taureau, sorte de minotaure moderne, affublé d’un uniforme nazi et terrassé par les deux drapeaux de la République Arabe Unie (Syrie et Egypte) et de l’Algérie combattante. On le voit le Tiers Monde conçu comme solidarité Sud / Sud n’est pas dissociable de la lutte anticoloniale. Les Etats du Tiers Monde s’organisent pour affermir leur unité et renforcer leur capacité d’action internationale : c’est la conférence de Bandung (1955), c’est le panarabisme (1956), c’est aussi l’Organisation de l’Unité Africaine (OUA, siège Addis Abeba, Charte du 25 mai 1963). Cette charte proclame « […] Les objectifs de l’Organisation sont les suivants […] Eliminer sous toutes ses formes le colonialisme d’Afrique […] » (article 2, alinéa 1, point d) et « […] Les Etats membres […] affirment solennellement les principes suivants […] Dévouement sans réserve à la cause de l’émancipation totale des territoires africains non encore indépendants […] » (Article 3, alinéa 6). Le Tiers Monde apparaît bien comme la tribune anticoloniale autant qu’un lieu d’organisation pour les combattants de l’indépendance.

2) Quelles relations les Etats du Tiers Monde comptent-ils entretenir les uns avec les autres ? (Documents 1 à 3)

            L’idée qui préside à la constitution de ce que nous appelons Tiers Monde est l’indépendance politique et économique afin de constituer un troisième bloc non-aligné. Les relations que les Etats du Tiers Monde comptent entretenir entre eux sont marquées par l’idée de fraternité. Elles sont de trois ordres : aide à l’indépendance, solidarité économique et aide au développement. Nehru le dit bien dans son discours final à la Conférence de Bandung (24 avril 1955) « […] nous avons discuté ensemble pour trouver une solution à nos problèmes communs. […] » (Deux dernières lignes du premier paragraphe). L’aide à l’indépendance est affirmée dès Bandung : « […] Il appartient à l’Asie d’aider au mieux l’Afrique au mieux de ses possibilités, car nous sommes des continents frères. […] » (Deux dernières lignes du document). Cette fraternité de combat l’Egypte l’incarne en accueillant le GPRA au Caire. L’affiche de propagande l’explicite dans son slogan : « L’union des Arabes / la fin du colonialisme ». L’article 2 de la Charte de l’OUA (25 mai 1963) inscrit cette fraternité dans le texte fondateur d’une organisation intergouvernementale (OIG) : « […] a) Renforcer l’unité et la solidarité des Etats africains [et] b) Coordonner et intensifier leur coopération et leurs efforts pour offrir de meilleures conditions d’existence aux peuples d’Afrique ; […] » (Article 2, premier alinéa, points a et b). Tout le monde comprend que l’indépendance politique ne suffit pas si les jeunes nations sont divisées ou pauvres.

3) Qu’est-ce que le « non alignement » ? Pourquoi peut-on dire qu’il a échoué ? (Documents 1, 3 et 4)

            Le « non-alignement » est un regroupement au départ informel puis par la suite institutionnalisé dans le « Mouvement des non-alignés » qui vise à d’une part refuser la logique d’alignement sur l’un ou l’autre bloc (Américain ou soviétique) et de l’autre qui cherche une voie originale de développement par l’adoption d’un modèle qui lui sera propre. Le refus de s’aligner donne son nom au mouvement. Il est présent dès la constitution du mouvement. Nehru dès 1955 le dit clairement dans son discours final (24 avril 1955) : « […] Nous voulons être amis avec l’Ouest, avec l’Est, avec tout le monde. […] » (Lignes 15 et 16). La mise en place d’un modèle propre est aussi présente dès l’origine. C’est le sens des paroles de Nehru : « […] nous avons discuté ensemble pour trouver une solution à nos problèmes communs […] » (Lignes 5 et 6). Ce qui veut bien dire que ni la colonisation ni les deux blocs n’avaient de solutions à fournir. Ou que les non-alignés n’étaient pas prêts d’accepter les solutions toutes faites proposées par l’Occident. Le non-alignement est la doctrine officielle des organisations qui naissent au Sud : « […] Affirmation d’une politique de non-alignement à l’égard de tous les blocs. […] » (Charte de l’OUA, 25 mai 1963, Article 3, alinéa 7).

            Le non-alignement a-t-il échoué ? C’est ce que pensent certains en observant le progressif alignement de certains membres historiques du mouvement des non-alignés. Ainsi Plantu dans le Monde daté du 6 septembre 1979 représente un Fidel Castro tournant en orbite autour du secrétaire général du PCUS Leonid Brejnev comme s’il en était devenu un satellite. Effectivement lors de l’ouverture du sommet du Mouvement des non-alignés de la La Havane (Cuba) Fidel Castro proclame le 3 septembre 1979 « […] Nous n’avons pas à rougir d’être socialistes […] » et « […] Nous sommes profondément reconnaissants au peuple soviétique. […] » (Lignes 1 et 2&3). Cependant l’idéal non-aligné n’est pas mort et Plantu le souligne lui-même en dessinant un Tito tançant le lider maximo. Tito d’ailleurs a répondu clairement dès le lendemain au discours de Castro : « […] Nous n’avons jamais cessé de nous prononcer avec constance contre la politique des blocs. […] » (Lignes 3 et 4).

            Ainsi même si certains membres tiédissent dans leurs convictions initiales d’autres restent droits. Le Mouvement des non – alignés reste vivant.

4) Quelle est la place du Tiers Monde dans les conflits des années 1990 et 2000 ? A quels types de conflits est-il exposé ? (Document 5)

            Le Tiers Monde est le principal champ de bataille des années 1990 et 2000. Il est exposé à tous les types de conflits : guerres internationales, guerres civiles et terroriste intégriste mondial. Dans l’Atlas du nouvel ordre mondial. , de Gérard Chaliand (2003) paru aux éditions Robert Laffont on voit que les conflits des années 1990 et 2000 sont localisés massivement le long de l’Océan Indien (Afrique, Moyen Orient, Asie du Sud et Sud-est asiatique. Bien sûr tous les conflits ne procèdent pas de la fragilité des Etats ou de la fragilité des sociétés civiles, conséquences directes de la pauvreté du Sud. Par exemple les conflits du proche Orient, d’origines complexes, ne ressortent pas nécessairement de logiques propres au Tiers Monde. Mais il n’en reste pas moins vrai que la quasi-totalité des conflits de l’après « Guerre froide » (comme la quasi-totalité des conflits de la « Guerre froide » d’ailleurs) est localisée dans le Tiers Monde. L’Afrique paraît particulièrement touchée : la République Démocratique du Congo (RDC) proclamée par Laurent Désirée Kabila après la chute du dictateur Mobutu ayant même connu ce qu’on a appelé la « Première Guerre mondiale africaine » accumulant en même temps et pendant près d’une dizaine d’années invasions d’armées étrangères, conflits séparatistes, guerres civiles, prédations des agents de l’Etat contre les populations civiles et exodes massifs des réfugiés des zones rurales vers les pays limitrophes … Et quelquefois l’inverse comme lorsque les Hutu fuirent le Rwanda après la prise du pouvoir du FPR de Paul Kagame.

Réponse organisée

A l’aide des réponses aux questions, des informations contenues dans les documents et de vos connaissances personnelles, rédigez une réponse organisée à la question suivante : pourquoi les principes sur lesquels s’est fondée l’identité du Tiers Monde ont-ils débouchés sur des désillusions politiques ? 

                         Le Tiers Monde est né deux fois. Une première fois sous la plume d’Alfred Sauvy dans un article de 1952 resté justement célèbre et paru dans l’hebdomadaire L’Observateur. Et une deuxième fois en 1955 dans la ville indonésienne de Bandung sous l’impulsion principale de l’Inde de Nehru, de l’Indonésie de Soekarno et de la Yougoslavie de Tito. A cette époque le Tiers Monde regroupe des pays qui partagent deux traits dominants : refus de s’aligner sur l’un des deux blocs et volonté de construire et de suivre un modèle de développement original ne devant rien aux conceptions économiques et politiques du Nord. Le Tiers Monde est-il mort deux fois ? Avec l’alignement progressif de ses membres sur l’un des deux super grands et avec la crise économique massive qui en affecta la plupart des membres à partir des années soixante dix ? En tous cas les principes sur lesquels s’est fondée l’identité du Tiers Monde semblent avoir débouchés sur des désillusions politiques. On se demandera dans quelles mesures cette impression est fondée.

            Dans un premier moment il faut analyser ce que furent les principes fondateurs du Tiers Monde et dans un second moment il faut se demander quelles furent les désillusions politiques et quelles furent leurs origines.

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                         Le Tiers Monde c’est d’abord une expression. Celle forgée par Alfred Sauvy en 1952 dans l’hebdomadaire l’observateur en référence à la période prérévolutionnaire en France. Le sociologue français compare les jeunes nations nouvellement indépendantes au Tiers Etat en France en 1789 qui n’était rien mais aspirait à devenir tout selon la formule de l’abbé Sieyès dans Qu’est-ce que le Tiers Etat ? Mais c’est aussi un groupe au départ informel de pays qui se réunissent autour de trois grands principes : lutte contre le colonialisme, solidarité Sud-Sud et non-alignement.

             Le premier principe autour duquel se réunissent les jeunes nations à Bandung (Indonésie) en 1955 c’est la lutte contre le colonialisme. En 1955 l’Asie vient de s’émanciper. L’Indonésie (Ancienne colonie néerlandais sous le nom d’Indes néerlandaises) a obtenu son indépendance après une courte guerre en 1946. L’Inde et le Pakistan sont devenus indépendants (conformément aux accords Quit India de 1942) en 1947. La République Populaire de Chine, proclamée à Pékin par Mao Zedong en 1949, s’est émancipée de la tutelle que les Américains exerçaient sur la Chine par le soutien qu’ils accordaient au Kuomingtang Tchang Kaï-Tcheik. Le Vietnam enfin est devenu indépendant après une guerre âpre (1946-1954) gagnée sur le champ de bataille de Dien Bien Phu. Les nations asiatiques convient donc leurs sœurs africaines (dont l’Egypte de Gamal Abdel Nasser) pour coordonner la lutte contre la colonisation. Nehru dans son discours clôturant la conférence de Bandung est sans ambigüité : « […] nous élevons notre voix contre l’hégémonie et le colonialisme […] » (« Discours de clôture de Nehru à la conférence de Bandung, 24 avril 1955, lignes 13). L’Afrique est d’ailleurs nommément désignée comme le prochain champ de bataille : « […] le drame de l’Afrique est plus grand que celui d’aucun autre continent, tant au point de vue racial que politique […] » (idem, 3 dernières lignes du texte.). Cette solidarité entre nations colonisées et décolonisées se manifeste dans le soutien accordé par l’Egypte de Nasser aux mouvements de libération dans le monde arabe : accueil du Gouvernement Provisoire de la République Algérienne (GPRA) du front de Libération National (FLN) de Ben Bella (Algérie), aide militaire auprès des combattants jordaniens et palestiniens (Première guerre israélo-arabe de 1948). Le slogan de l’affiche anticolonial de 1956 est clair : « […] Par L’union des Arabes / La fin du colonialisme. […] ». Les organisations formelles intergouvernementales qui naissent au fur et à mesure que les Etats d’Afrique deviennent indépendants reprend cet impératif anticolonial : la charte de l’Organisation de l’Unité Africaine (OUA), dont le siège est symboliquement situé à Addis Abeba en Ethiopie (Pays qui n’a jamais été colonisé) le proclame plusieurs fois : « […] Les objectifs de l’Organisation sont les suivants […] Eliminer sous toutes ses formes le colonialisme d’Afrique […] » (Article 2, point n°1).

             Mais les militants et les dirigeants savent bien que l’indépendance politique n’est rien sans indépendance économique. C’est pourquoi le deuxième principe fondateur est celui de la solidarité Sud / Sud. Seule l’indépendance économique peut prévenir contre le néo-colonialisme c’est-à-dire l’asservissement financier des Etats indépendants par leurs anciennes métropoles. Ce danger là est bien perçu dès 1955. Nehru l’a bien compris lui qui déclare « […] c’est pourquoi nous devons à ce qu’aucune forme de domination ne nous menace […] le seul chemin qui mène droit au cœur et à l’âme de l’Asie est celui de la tolérance, de l’amitié et de la coopération […] ». L’OUA reprend ce principe de solidarité par la coopération économique et l’inscrit dans sa charte (1953) « […] Coordonner et intensifier [la coopération des Etats africains] et leurs efforts pour offrir de meilleurs conditions d’existence aux peuples d’Afrique. […] » (Article 2, point 1 b) et propose même un objectif plus audacieux « […] A ces fins les Etats membres coordonneront et harmoniseront leurs politiques générales […] » (Article 2, point 2). Cette volonté d’émancipation économique par la coopération politique et économique est rappelée par Tito, le dirigeant yougoslave, dans le discours qu’il adresse le 4 septembre 1979 à Castro lors du sommet des non – alignés de La Havane : « […] Nous n’avons jamais cessé de nous prononcer avec constance […] pour le droit à la liberté, à l’indépendance et au développement autonome. […] ». Questions politique et économique sont liées : l’indépendance politique ne peut véritablement être garantie que par l’indépendance économique. Mais celle-ci ne peut être assurée que par la coopération Sud / Sud et l’adoption d’un modèle de développement dont la genèse ne doive rien à l’Occident, qu’il soit marxiste ou libéral. L’indépendance économique découle de l’indépendance idéologique. Seul un modèle de développement propre au Sud garantira l’indépendance économique qui à son tour garantira l’indépendance politique.

             Ainsi le non-alignement – troisième principe fondateur majeur du Tiers Monde – ne revêt pas seulement une dimension politique (refus de s’aligner diplomatiquement et politiquement sur Moscou ou Washington) mais aussi une dimension économique et idéologique (refus d’adopter un modèle économique et social venant de l’Occident). Car toutes ces dimensions sont intimement liées entre elles. Le non-alignement c’est d’abord la garantie de la neutralité et donc de la fraternité. Nehru le rappelle : « […] L’Asie n’est plus passive […] nous sommes résolus à n’être d’aucune façon dominés par aucun pays […] Nous voulons êtes amis avec l’Ouest, avec l’Est, avec tout le monde […] ». Une telle posture se paye. Tito le sait bien qui depuis 1945 est entouré par les alliés direct de l’Union des Républiques Socialistes Soviétiques (URSS) et surveillé par l’Armée Rouge qui campe à ses frontières. Le prix du non-alignement c’est l’isolement et pour sortir de l’isolement il faut multiplier les partenariats Sud / Sud. Mais le non – alignement c’est aussi la chance de trouver et de suivre un modèle de développement autonome, qui correspondent aux objectifs choisis par les peuples et non à ceux imposés par l’étranger, et qui soit adapté aux particularités locales et non importé d’un autre monde. Ainsi le Non – Alignement c’est aussi la volonté de suivre un modèle de développement propre au Sud. Tito le dit très clairement quand il parle du « […] droit […] à un développement autonome. […] » (Discours du 4 septembre 1979, sommet du Mouvement des Non – Alignés de La Havane, Cuba, en réponse au discours d’ouverture de Castro. Ces choix d’un modèle original de développement furent à l’origine de grandes ruptures à l’échelle mondiale. Nasser nationalisa (contre remboursement des actionnaires franco-anglais) le Canal de Suez (1956) et rechercha des soutiens financiers pour la construction du barrage d’Assouan. L’Inde choisit un développement autocentré et lança le programme de « Révolution verte » qui lui permit d’atteindre l’autosuffisance alimentaire dès la fin des années soixante en même temps qu’elle se dotait de grands groupes industriels en protégeant son marché intérieur des importations étrangères. La Chine enfin rompit avec l’URSS pour adopter une série de réformes (« Grand bond en avant » à la fin des années soixante, « Révolution culturelle », libéralisation économique des zones littorales au début des années quatre-vingt). Si certaines de ces mesures (comme le « Grand bond en avant ») obéirent aussi à des impératifs de politique intérieure (épuration du parti) et firent de grands dégâts (« Grand bond en avant » et « Révolution culturelle ») et entrainèrent la rupture violente avec l’URSS (Combats le long du fleuve Amour et en Mongolie) elles n’en démontrent pas moins la capacité de la Chine à choisir ses modèles de développement.

                         Ces idéaux et principes fondateurs ont vécu tant bien que mal jusqu’aux années soixante dix, période à partir de laquelle le Mouvement des Non – Alignés (MNA) tend à se déliter. C’est le temps des désillusions politiques. Alignement, rivalités et néo-colonialisme semblent constituer le triste bilan du Tiers Monde 30 ans après sa naissance officielle.

            La manifestation la plus éclatante d’une forme d’échec du Mouvement des Non – Alignés est bien sûr l’alignement du Cuba de Fidel Castro sur l’URSS. Le 3 septembre 1979 lors de son discours d’ouverture qu’il prononce en tant qu’hôte le leader cubain déclare « […] Nous n’avons pas à rougir d’être socialistes […] nous sommes profondément reconnaissants au peuple soviétique parce que sa coopération généreuse nous a aidé à survivre […] ». Si Fidel Castro feint de ne voir aucune contradiction entre sa proclamation de foi socialiste et le non-alignement personne n’est dupe. Ni les leaders historiques comme Tito ni les Occidentaux. D’ailleurs dans Le Monde (daté du 6 donc paru le 5 soit le lendemain du discours de réponse de Tito) Plantu le célèbre caricaturiste du quotidien français montre bien un Fidel Castro littéralement satellisé par Leonid Brejnev. Le cas cubain est intéressant parce qu’il témoigne d’un réel alignement (Les sous-marins nucléaires lanceurs d’engins soviétiques font relâche sur des bases cubaines depuis une dizaine d’années…) il témoigne aussi de l’incapacité des Etats du Sud à porter un secours immédiat et concret à leurs frères en difficultés. Cubain est isolé par l’embargo américain depuis 1961 et les pénuries sont nombreuses sur l’île qui échange alors médicaments et pétrole soviétiques contre du sucre. L’alignement est donc le résultat d’une détresse économique plus qu’un lâche abandon des idéaux d’origine. Y-t-il échec ou nécessité dans ce cas ? L’Egypte de Nasser avait bien fait appel aux capitaux soviétiques pour construire Assouan, puis à l’aide militaire américaine sous Anouar El-Sadate ? La réalité est que les géants du non – alignement (Inde, Chine, Yougoslavie) sont à peine capables de se suffire à eux-mêmes qu’ils n’ont guère les moyens d’aider massivement leurs frères d’Asie, d’Afrique et d’Amérique laissés à eux-mêmes. Ainsi le relèvement des prix du baril de pétrole (1973-1974 puis 1979) en favorisant l’enrichissement (légitime) des monarchies pétrolières du golfe persique a pénalisé en premier lieu d’autres pays du Sud importateurs de bien manufacturés (et en premier lieu les pays d’Afrique sub-saharienne). Les subsides accordés ensuite par les pays de l’OPEP ne compensant évidemment pas les effets des « chocs pétroliers ».

             Car derrière les proclamations de solidarité, d’amitié et de coopération la réalité du Tiers Monde est celle d’une profonde désunion politique. Ainsi au proche et au moyen orient. Si tous les Etats de la région semblent faire cause commune pour le sort des Palestiniens, certains Etats sont des monarchies (Péninsule arabique, Jordanie) d’autres des républiques (République Arabe Unie / Egypte Syrie, Irak, Turquie) certains sont des Etats arabes d’autres non (Turquie, Iran), certains sont sunnites (Egypte, Arabie saoudite) d’autres chiites (Iran, Liban), certains sont musulmans (Syrie) d’autres dominés par les chrétiens (Liban). Ces clivages favorisent les rivalités (Irak / Iran, Liban / Syrie, Jordanie / Egypte). Si le Tiers Monde a bien été le champ de bataille de la « Guerre froide » on peut se demander qui a instrumentalisé qui ? Car bien des conflits de la guerre froide étaient auparavant des conflits Sud / Sud. Ainsi le conflit Inde / Pakistan (Où le Pakistan reçoit l’aide américaine) préexiste à la logique des blocs (1947). Dans la moitié de cas les Etats du Tiers Monde s’alignent sur un des deux supergrands afin de recevoir une aide militaire qui leur permettra de solder des comptes qui n’ont rien à voir avec la « Guerre froide » (Ethiopie / Erythrée, Syrie / Turquie). La « Guerre froide » est alors le carburant d’un moteur de rivalité bien propre aux Etats du Sud. D’ailleurs le conflit israélo-palestinien ne devient un conflit de la guerre froide qu’au début des années soixante dix soit 25 ans après son déclenchement. Le Tiers Monde n’a pas su surmonter les rivalités nées de l’histoire ancienne ou récente. L’idéal n’a pas résisté aux contraintes qui lui préexistaient. Mais ces rivalités politiques n’avaient aucune chance de s’apaiser car les contraintes économiques étaient fortes. Les métropoles n’ont d’ailleurs pas laissé beaucoup de chance à l’éclosion d’un Tiers Monde économiquement indépendant.

             Les métropoles, dépitées d’avoir du laisser s’échapper leurs empires immenses, ne se résignèrent pas à perdre leur influence dans leurs anciennes colonies. C’est ce qu’on appelle le néo-colonialisme. Le colonialisme camouflé derrière la servitude financière et économique. La nation qui est accusée d’avoir le plus et le plus longtemps pratiqué le néo-colonialisme est la France. Félix Houphouët – Boigny, président de la République de Côte d’Ivoire, avait forgé un néologisme pour désigner ces relations très étroites entre la France et ses anciennes colonies d’Afrique : la « Françafrique ». Laudateur à l’origine ce terme désigna très vite une « France à fric » allant faire et défaire les régimes ou soutenant à l’excès des dirigeants indéfendables (Bokassa en République Centre Africaine, Eyadema au Togo etc) couvrant ou orchestrant les assassinats politiques (Assassinat de Thomas Sankara par Blaise Compaoré au Burkina Faso) pour maintenir coûte que coûte son influence dans la région. On a sans doute noirci à l’excès le rôle des dirigeant français jusqu’à les suspecter faussement d’avoir organisé et couvert des génocides (Rwanda, 1994). Mais il est vrai que l’argent de la coopération revenait largement en France par le biais des valises de billets, et des rétro-commissions. Le reste disparaissant dans les comptes bancaires des familles dirigeantes (Côte d’Ivoire, Zaïre, Gabon…) En échange de ces fonds destinés aux campagnes politiques françaises les chefs d’Etat africains votaient comme la France leur demandait aux assemblées générales de l’ONU et des autres organisations. Les autres métropoles ne firent pas mieux : la Belgique ne couvrit-elle pas l’assassinat odieux de Patrice Lumumba au Congo-Léopoldville ? Il en ressort surtout que le néo-colonialisme fut le produit d’intérêts bien compris entre les dirigeants africains qui spolièrent leur pays et des métropoles trop heureuses de trouver pour pas cher des alliés fidèles et peu scrupuleux. Il est vrai aussi que ses relations vénales et délétères échappèrent longtemps aux contrôles parlementaires des métropoles. En France les affaires africaines furent la chasse gardée des différents exécutifs, qui traitèrent les relations diplomatiques avec l’Afrique par l’intermédiaire de réseaux sulfureux (Foccart sous les gouvernements de droite, puis Charles Pasqua, enfin les fils du président Mitterrand dont un était surnommé en Afrique francophone « Papa m’a dit » !).

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 [Version de conclusion longue pour un candidat n’ayant pas contesté le sujet dans son développement]

            Le Tiers Monde n’a pas réussi jusqu’à aujourd’hui à devenir une entité politique suffisamment forte pour peser en tant que telle sur la marche du monde. Ses organisation régionales (comme l’OUA) n’ont pas enrayé la fragmentation politique extrême du Tiers Monde conduisant jusqu’aux années 2000 à une accumulation de guerres en tous genres et très meurtrières. La fragmentation politique et la crise économique quasi généralisée ont entrainé un rapide alignement de la plupart des Etats du Tiers Monde sur l’un ou l’autre des blocs et – plus grave – un alignement généralisé sur le modèle libéral capitaliste mondialisé proposé par les institutions de Brettons Wood. L’Occident a-t-il fait mieux ? Sans doute pas. Les puissances montantes régionales ou continentales (Brésil, Chine, Indonésie, Inde…) sont d’ailleurs des poids lourd du Mouvement des Non – Alignés (MNA) qui compte à l’Organisation des Nations Unies plus de 120 membres. Est-il pertinent de conclure sur un constat d’échec ? L’Organisation Mondiale du Commerce (OMC) est le théâtre d’une forte solidarité politique entre le Brésil, l’Afrique du Sud, la Chine et l’Inde accompagnés de leurs alliés pour combattre les monopoles du Nord et ses pratiques contre concurrentielles. Le Tiers Monde n’a semble-t-il pas dit son dernier mot.

 [Version de conclusion courte pour un candidat ayant contesté le sujet dans son développement]

            Le Tiers Monde bien que très affaibli et déconsidéré au sortir de la « Guerre froide », réduit à l’image désastreuse des guerres et des catastrophes sanitaires, ramassis des sans abris géopolitiques du monde, n’est pas mort. Et ne semble pas atteint de « désillusions politiques ». Les dirigeants indiens, brésiliens, chinois, birmans, indonésiens ou iraniens et soudanais savent bien se faire entendre et respecter. Ces poids lourds du Mouvement des Non – Alignés nous invitent à attendre un peu afin de faire le bilan de ce que fut Tiers Monde. Car le Tiers Monde apparaît encore bien vivant et enthousiaste.

 [Troisième partie du développement pour les candidats ayant choisi de contester le sujet dans le corps du devoir]

             Il y eu sans doute dans les années quatre-vingt à 2000 de profondes désillusions politiques. Sont-elles toujours d’actualité et peut-on parler d’un échec du Tiers Monde ? On peut en douter.

            Peut-on parler d’un échec du Tiers Monde ? Parler d’un échec du Tiers Monde pose la question des objectifs et de leur actualité. Ainsi le non-alignement n’est plus de mise après la fin de la « Guerre froide » (1991). Les Etats du Tiers Monde ont-ils mis en place des modèles de développement qui leurs sont propres ? Oui pour certains, non pour d’autres. L’Inde, la Chine, le Brésil, l’Indonésie, l’Algérie ont choisis de voies originales mais différentes et ces pays sont aujourd’hui largement les plus puissants des pays du Sud. Les pays pétroliers sont bien sûr dans une situation particulière leur croissance étant directement connectée sur la rente pétrolière. On peut donc dire que les Etats qui ont mis en place un modèle de développement autocentré sont aujourd’hui largement payés de leurs efforts. En ce sens on peut parler d’un échec de la majorité des Etats du Tiers Monde (ceux qui n’ont pas véritablement mis en place de modèle de développement original et se sont contentés de vivre sur la rente des matières premières). Mais on peut aussi parler de la validité des principes fondateurs : ceux qui ont suivi ces principes y ont gagné. Mais tous aujourd’hui suivent le modèle de développement capitaliste libéral anglo-saxon. Là encore l’Inde, la Chine et le Brésil ont su tempérer ce modèle : l’Inde par exemple protège largement son industrie et son système commercial. Des firmes comme Wall-Mart y sont interdites. La pauvreté des pays du Sud témoigne plus de l’échec du modèle anglo-saxon de développement que de l’échec des modèles du Tiers Monde. Encore faut-il rappeler que des Etats comme Taïwan ou la Corée du Sud considérés dans les années cinquante comme des Etats du Tiers Monde sont des Etats riches de la Triade aujourd’hui. Le Tiers Monde a-t-il échoué à constitué une identité internationale du Sud ? Certainement pas. Les partenariats Sud / Sud qui se multiplient (Sur les médicaments génériques, les antirétroviraux, sur l’exploitation des ressources naturelles) témoignent de la renaissance de la conscience politique du Sud.

            Les désillusions politiques du Tiers Monde sont-elles toujours d’actualité ? Le Tiers Monde aujourd’hui semble le théâtre des guerres les plus meurtrières et des stigmates les plus flagrantes de la très grande détresse. Guerres impériales, guerres civiles, guerres séparatistes, intégrisme, djihadisme mondial, coup d’Etat, potentats caricaturaux, népotisme systématique … Aucun des maux politiques et sociaux modernes ne semblent échapper au Tiers Monde. A ce titre l’Afrique est l’exemple idéal. Les guerres opposent les Etats entre eux (Angola et Ouganda interposés en RDC), guerres des peuples entre eux menaçant les frontières historiques (Casamance, sud Soudan), les Etats contre leurs peuples (Ouganda de Idi Amin Dada, Darfour, génocide rwandais de 1994) les fils succèdent aux pères (Gabon, Bénin) les coups d’Etats se succèdent (Niger, Guinée Conakry). Mais derrière ces crises hyper aigues se profilent aussi les solutions pour les résoudre. L’Union Africaine, rénovée par Tabo Mbeki (Ancien président d’Afrique du Sud) est devenue une force agissante (Condamnation du coup d’Etat institutionnel de Tandja au Niger, interventions militaires répétées en Somalie et en Sierra Leone, mise en œuvre par le NEPAD des Objectifs du Millénaire de l’ONU…). Les raisons d’espérer depuis quelques années sont à la hauteur des raisons de désespérer. Si le djihadisme connaît une forte recrudescence au Sahara et au Sahel les Etats du Nord ne réussissent pas mieux à le conjuguer (Attentats de Madrid et de Londres, échec en Afghanistan…). On ne peut parler de désillusions quand Etats du Nord et du Sud sont confrontés aux mêmes réalités et aux mêmes résultats… On peut au contraire parler d’un nouvel enthousiasme tiers-mondiste : Chavez au Venezuela et Lula au Brésil incarnent un contre discours au discours occidental très fortement apprécié dans l’ensemble des pays du Tiers Monde. Il y a eu un temps de désillusions, il est passé. Les Jeux Olympiques de Pékin (2008), la Coupe du Monde de football en Afrique du Sud (2010), l’exposition internationale de Shanghai (2010) les forums altermondialistes qui se tiennent chaque année à Porto Alegre (Brésil) montrent bien que comme en 1955 à Bandung le Tiers Monde peut devenir la capitale politique du Monde. On voit même régulièrement les Etats du Sud unis contre les projets des pays industrialisés (Echecs des sommets de l’OMC, échec du sommet de Copenhague au Danemark en 2010).

            Que signifie aujourd’hui le Tiers Monde ? Le Tiers Monde d’aujourd’hui appréhendé comme force politique n’a plus la même dimension idéologique qu’en 1955. Le Tiers Monde aujourd’hui se regroupe d’abord autour de géants régionaux dont la sphère d’influence est clairement limitée dans l’espace : la Chine en Asie, l’Inde en Asie du Sud, la Turquie au Proche et au moyen Orient, l’Afrique du Sud en Afrique, le Brésil en Amérique du Sud et le Venezuela en Amérique centrale et Caraïbes. Ces Etats oeuvrent pour construire ou revivifier les Organisation Inter Gouvernementales hérités des indépendances ou édifiées par la suite. C’est l’UA en Afrique. C’est le Mercosur en Amérique. Les ambitions sont politiques et économiques. D’un point de vue politique ces Etats militent pour une prise en charge des défis continentaux par les acteurs continentaux : c’est le sens donné à l’intervention dans le cadre de l’ONU des casques bleus brésiliens en Haïti dont ils représentent le premier contingent, le sens donné à la présence de l’Union Africaine en Somalie. Du point de vue économique ils bâtissent d’abord des zones d’influence commerciale. Mais ils militent aussi pour une autre mondialisation plus intègre en faisant condamner les Etats industrialisés pour leurs pratiques contre concurrentielles. Les grands rassemblements se font au FMI (Et Dominique Strauss – Khan a été élu après avoir longuement fait campagne auprès de ces géants du Sud…) et à l’OMC. Ces géants régionaux tissent maintenant des liens intercontinentaux : c’est le partenariat Inde Brésil Afrique du Sud (IBAS) ou les forums Chine Brésil Inde Afrique du Sud. On observe une lente mutation des organisations économiques (Comme l’ASEAN) en formations politiques (Condamnation par l’ASEAN de la junte birmane, projet d’union économique en Asie du Sud Est…). Les nouveaux moyens financiers des Etats géants du Sud leurs donnent maintenant des moyens de satisfaire leurs ambitions politiques.

© Erwan BERTHO (2010, 2015, 2017)

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