CONFÉRENCES – 2014, Marc DUFUMIER, « Les éco-agrosystèmes, l’agriculture de demain. » Compte-rendu d’Aurélien SUMKA.

CONFÉRENCES

Cycle de conférences « Les agricultures familiales » ; NIGER Septembre – Décembre 2014

Institut de France, CCFN, Service de Coopération et d’Action Culturelle de l’Ambassade de France au Niger, Lycée Français La Fontaine de Niamey – NIGER

Niamey, le vendredi 7 novembre 2014 au Lycée Français La Fontaine de Niamey – NIGER

Les éco-agrosystèmes, l’agriculture de demain, par Marc DUFUMIER, professeur émérite d’agronomie à l’école nationale d’agronomie AgroParisTech, modérateur Jean-Jacques MOIROUD, proviseur de la Cité scolaire La Fontaine de Niamey

L’auteur, héritier d’une école française de Géographie et d’Agronomie engagée et militante…

Marc DUFUMIER est agronome de formation (Institut National d’Agronomie de Paris, INA-P, 1966), docteur en Géographie (Paris I Panthéon-Sorbonne, 1974), en mission à Madagascar (1968-19969), puis expert agronome pour la coopération technique française (Institut de Recherches et d’Applications des Méthodes de développement, IRAM, 1970-1976), enseignant-chercheur (1977-2002) à la chaire d’Agriculture comparée et de développement agricole à l’Institut National d’Agronomie de Paris-Grignon (INA-PG) devenu l’Institut des Sciences et des Industries du Vivant et de l’Environnement (AgroParisTech) en 2007 et pôle du cluster de Paris-Saclay, puis directeur (2002-2011) d’AgroParisTech, membre du Conseil scientifique de l’Institut de Recherche pour le Développement (IRD).
Marc DUFUMIER est l’auteur de nombreux ouvrages dont Agricultures et paysanneries des Tiers-Mondes., (1996-2004), Agricultures africaines et marché mondial, (2007), Famines au Sud, Malbouffe au Nord. Comment le bio peut nous sauver ?, (2012) et Cinquante idées sur l’agriculture et l’alimentation., (2014).

Comment nourrir l’humanité ?

Tout d’abord, il faut expliciter la notion d’agriculture biologique. C’est une agriculture labellisée avec des logos qui lui sont associés. Ceci signifie, pour les agriculteurs, une obligation de respecter un cahier des charges dans son intégralité pour pouvoir bénéficier de cette appellation. Des organismes nationaux et internationaux vérifient si les produits obtenus respectent bien le cahier des charges : absence de pesticides, d’engrais chimiques….
Ensuite, la notion de développement durable qui consiste à penser aux générations futures tient une place importante.

En 2014, 7,2 milliards d’individus sont présents sur Terre, mais ils seront 9 milliards d’ici2050.
Ainsi, sur 7,2 milliards d’individus, 800 millions de personnes sont touchés par « la faim » et 1 milliard de personnes sont carencées.

Par conséquent, les enjeux de l’agriculture sont :
• de satisfaire des besoins sans cesse croissants et diversifiés : nourriture, carburant…
• d’assurer une alimentation de qualité sans microbes, ni pesticides et de bon goût afin de couvrir les besoins d’un être humain qui sont, en moyenne, de 2200 Kcal/jour. En sachant, que lorsque les apports sont inférieurs à 1200 Kcal/jour, un individu à « faim ».
Deux éléments sont nécessaires pour le fonctionnement de l’organisme : l’énergie et les protéines. Viennent ensuite, les vitamines, les minéraux, les antioxydants …
• de ne pas porter atteinte aux potentialités productives de l’environnement (développement durable) donc de maintenir une fertilité de l’environnement pour les générations futures ;
• de nourrir correctement un individu. En Afrique, il faut, en moyenne, 200 kg céréales/habitant/an alors que 300 kg céréales/habitant/an sont nécessaires dans le monde et 700 kg céréales/habitant/an dans les pays développés.

– UN CONSTAT INQUIÉTANT EN AFRIQUE –

Le réchauffement climatique se développe et touchera l’Afrique sévèrement. En effet, ce continent sera le plus touché avec une augmentation de 3 à 4 °C d’ici 2099 avec une fréquence accrue et plus prononcée des évènements climatiques : pluies torrentielles, sécheresse…

D’autre part, la diminution du rendement de céréales (mil/sorgho) est estimée à 25 % au Niger et entre 15 et 20 % au Burkina Faso si rien n’est fait.

Concernant les paysages, l’Afrique présente souvent des sols peu fertiles : plateaux cuirassés, glacis gravillonaires. Le déboisement réalisé afin de fournir du bois pour faire la cuisine dans les villages accentue la désertification (surtout en Afrique du sud et en Afrique sub-saharienne).
L’ensemble de ces éléments est source de problèmes pour réaliser des cultures.

Finalement, en Afrique, l’accès à l’eau se fait par des puits au sein des villages, les arbres sont utilisés pour l’alimentation des animaux quand il n’y a pas de pâturages et les techniques de culture sont archaïques.

– LES SOLUTIONS A COURT TERME –

Les solutions trouvées à court termes, loin d’être satisfaisantes à moyen terme sont :
• apporter des engrais chimiques 15/15/15 c’est-à-dire constitué de 15 % d’azote (N), 15% de phosphate (P), 15 % de potassium (K). La fabrication de ces engrais est très coûteuse !
• apporter des pesticides qui tuent les insectes ravageurs des cultures. Cependant, ces produits éliminent également les ravageurs des ravageurs. Par exemple: la coccinelle qui élimine les pucerons ravageant les cultures va disparaitre avec les pucerons. Si, les pucerons deviennent résistants à ces pesticides, il n’y aura plus les coccinelles pour les éradiquer.
• L’utilisation de matériel motorisé tels que les tracteurs permet d’accroître la productivité de celui qui travaille (l’agriculteur) mais n’accroit pas le rendement. Ceci engendre une augmentation des coûts comme l’’importation des carburants.
D’autre part, l’utilisation de semoir, utilisés avec les tracteurs ne permet de réaliser que des monocultures !
• la mise en place de grands périmètres irrigués est coûteuse car le ciment utilisé pour construire des conduits est onéreux et ces conduits nécessitent une réfection régulière.

L’agro-écologie, une réponse durable pour les défis démographiques, environnementaux et politiques de l’humanité.

– UNE ALTERNATIVE AUX SOLUTIONS PRECEDENTES EST POSSIBLE –

La solution est l’agroécologie qui regroupe l’agronomie (science relative à l’agriculture) et l’écologie.
Ainsi, il faut reconnaitre l’écosystème comme étant l’objet de travail des agriculteurs.
En sachant, qu’aucune pénurie solaire n’est prévue avant au moins 1 milliard d’année, tout comme aucune pénurie de CO2 n’est prévue, (et que ces éléments sont gratuits !) il faut faire le plus grand usage possible de l’énergie solaire et du carbone (C) de l’atmosphère. L’objectif étant qu’aucun rayon de soleil ne tombe à terre ! Il faut donc réaliser l’usage le plus intensif des rayons solaires, autrement dit, maximiser la photosynthèse par hectare. Ceci est possible en diversifiant les espèces dans un même champ : chaque rayon solaire doit tomber sur des feuilles et la végétation doit être présente le plus longtemps possible dans l’année, c’est-à-dire en saison des pluies mais également en saison sèche.
D’autre part, une plante peut résister à la sécheresse pendant un certain temps. Mais, pour ce faire, il faut qu’elle soit suffisamment alimentée en eau. Ainsi, il faut, tout d’abord, pratiquer les associations culturales et les couvertures végétales permanentes, ensuite, favoriser l’infiltration puis la rétention des eaux de pluie dans la couche arable (couche de terre cultivable). Les labours sont à éviter, bien qu’ils favorisent la porosité des sols. En effet, ils détruisent l’humus (riche en carbone, azote et éléments minéraux). Pour éviter cela, il faut utiliser des organismes vivants tels que les vers de terre ou les termites. Ces dernières font des allers/retours réguliers entre la surface (si du bois est présent) et le sous-sol. En se déplaçant, elles creusent des galeries qui favorisent l’infiltration de l’eau et augmentent la porosité des sols.

Dans un sol, l’argile et l’humus retiennent l’eau. Or, si on ne peut pas ajouter d’argile dans un sol sableux, on peut y ajouter de l’humus. Comment ?
En favorisant la fixation biologique de l’azote (N) présent en grande quantité dans l’atmosphère. Ceci grâce aux légumineuses (arachides, niébés, acacias…) qu’il faut utiliser dans des rotations et des assolements (procédé de culture par succession et alternance sur un même terrain afin de conserver la fertilité du sol). En effet, les légumineuses permettent de fabriquer des protéines qui fournissent de l’azote donc de l’humus (en partie) qui augmente la photosynthèse (le carbone étant fournit par l’atmosphère également). Ceci permet une fertilisation du sol par l’agriculture biologique.
D’autre part il faut « réconcilier » l’agriculture et l’élevage. En effet, l’élevage produit de l’urine contenant de l’urée et donc de l’azote. En présence de paille qui fournira le carbone via l’action des micro-organismes, l’humus des sols pourra être reconstitué.
Finalement, dans le sous-sol, la roche-mère subit l’altération, ce qui libère des minéraux en profondeur. Certains végétaux tels que les acacias, à racines profondes, permettent de prélever ces éléments pour ensuite les restituer en surface lorsque leurs feuilles mortes tombent sur le sol. Ainsi, il faut associer des arbres aux cultures mais attention à l’ombrage produit par ces derniers qui pourrait empêcher la croissance des autres végétaux.
Beaucoup de minéraux sont présents dans la couche arable mais ne sont pas utilisables. C’est la raison pour laquelle il faut favoriser le développement des champignons « mycorhiziens » dont les longs filaments vont s’associer aux racines de certains arbres afin de former des mycorhizes permettant l’utilisation des minéraux de la couche arable.
Favoriser les insectes auxiliaires des cultures permet également de neutraliser les ravageurs des cultures.

– QUELQUES EXEMPLES AFRICAINS CONCRETS –

1-L’Acacia albeda (légumineuse) dans un champ de mil.
Cette légumineuse va chercher les minéraux en profondeur avec ses racines profondes. Lorsque les feuilles mortes de cet arbre tombent sur le sol, elles fertilisent la couche arable du sol (notamment en éléments minéraux). Ceci permet de retenir plus d’eau, ce qui augmente le rendement de la culture de mil à proximité par rapport à une culture plus éloignée de l’arbre. DE plus, les Acacias albeda abritent des insectes ravageurs des ravageurs du mil, ce qui évite d’utiliser des pesticides.

2-Régénération naturelle assistée.
Cette pratique protège certaines espèces pour qu’elles se développent davantage par rapport aux autres et produisent davantage de feuilles, qui, quand elles tomberont enrichiront la couche arable en minéraux.

3-« Parc à bœufs ».
Les bœufs, qui sont laissés pendant 8 à 10 heures par jour dans leurs enclos, déposent des déjections. Ces dernières fertilisent le sol en apportant de l’azote. Si, en plus, on recouvre le sol de paille, alors cette dernière permettra d’apporter le carbone via les micro-organismes. Ceci permettra de reconstituer de l’humus permettant les cultures. Cependant, il faut des charrettes pour transporter la paille sur le lieu où sont situés les bovins. Or, tous les agriculteurs ne possèdent pas de charrettes car ces dernières sont coûteuses pour eux.

Bibliographie sélective :
DUFUMIER (Marc),
– DUFUMIER (Marc), Cinquante idées sur l’agriculture et l’alimentation., 2014, Paris, aux éditions Allary, 256 pages, ISBN 978-2370730015.
– DUFUMIER (Marc), Famines au Sud, Malbouffe au Nord. Comment le bio peut nous sauver ?, 2012, Paris, NIL éditions, 193 pages, ISBN 978-2841115235.
– DUFUMIER (Marc), Agricultures africaines et marché mondial, 2007, Paris, Fondation Gabriel Péri, collection « Notes », 86 pages, ISBN 978-2916374116.
– DUFUMIER (Marc), Agricultures et paysanneries des Tiers-Mondes., 1996, réédition 2004, Paris, aux éditions Karthala, collection « Hommes et Sociétés. », 598 pages, ISBN 978-2845865488

© Aurélien SUMKA (2014), Enseignant Expatrié en Mission de Conseil Pédagogique dans le secondaire (EEMCP2) de SVT au lycée Français La Fontaine de Niamey (NIGER – Réseau AEFE).

© Erwan BERTHO (2014, dernière révision 2018), mise en page, relecture, présentation de l’intervenant et bibliographie.

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Conférences – Julien BRASCHET, « Les migrations sahariennes. », restitution par Erwan BERTHO

 

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