FICHES DE LECTURE – Christophe GUILLUY , « Fractures françaises » (2010) par cécile JACQUART

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Christophe GUILLUY, Fractures françaises, Paris, 2010

« White flight. »

FICHE TECHNIQUE

GUILLUY (Christophe), Fractures françaises., 2010, Paris, aux éditions Bourin éditeur, réédition en 2013, aux éditions Flammarion, collection « Champs Essais », 186 pages, ISBN 978-2081289611.

L’AUTEUR

Christophe Guilluy est un géographe spécialisé dans la géographie sociale urbaine. Avant Fractures françaises il a publié notamment l’Atlas des nouvelles fractures sociales en France (2004 éditions Autrement). Ses thèses gênent politiquement mais ne sont pas remises en cause par d’autres géographes comme Laurent Davezies (cf. entretien dans Nouvel observateur n°2602 du 18 septembre 2014). Il vient de publier en septembre 2014 un livre sur la France périphérique où il les développe.

LE LIVRE

L’idée principale que Christophe Guilluy expose dans Fractures françaises est que politiquement la question de la diversité a remplacé la question sociale. Le mouvement de périurbanisation a concerné particulièrement les couches populaires et les a rendues invisibles aux yeux des élites politiques, même et surtout de gauche, la gauche ayant décidé (cf. le Think Tank Terra Nova), de faire des « bobos » et des populations issues de l’immigration la base de son électorat.

Christophe Guilluy passe les 5 premiers chapitres de son livre à démontrer qu’il est fallacieux d’assimiler la banlieue des grands ensembles aux ghettos ethniques des USA et surtout que les grands ensembles, malgré leurs problèmes sociaux, ne sont pas les territoires les plus démunis dans le mouvement de sélection spatiale fine entrainée par la mondialisation. Ces territoires bénéficient au contraire de politiques sociales importantes et surtout de la proximité géographique des centres des métropoles qui sont accessibles, notamment à sa jeunesse, via des transports en commun. Cette proximité et cette accessibilité des centres des métropoles constituent un atout dont ne bénéficient pas les zones périurbaines, par ailleurs stigmatisées dans le discours politique au nom de leur empreinte écologique.

Christophe Guilluy en arrive donc à l’idée que la véritable fracture territoriale se situe non entre le centre ville et les banlieues, mais entre le péri urbain et les grandes agglomérations. Ce péri urbain de plus en plus lointain est le domaine des classes populaires. Cet éloignement des centres constitue pour ses habitants une double peine : de longs trajets pour les parents et une jeunesse qui sans motorisation voit ses perspectives d’études et d’emploi réduites par rapport à la jeunesse de banlieue.

La géographie urbaine doit donc s’analyser de la façon suivante pour Christophe Guilluy  (chapitre 7):

  • Des espaces centraux que se sont appropriés les catégories aisées, anciennes (bourgeoisie) ou en devenir (bobos, étudiants) malgré la présence de catégories populaires issues de l’immigration (typiquement arrondissements de l’Est parisien comme dans collège d’Entre les murs NDLR)
  • Des banlieues proches connectées, quartiers sensibles compris
  • Un périurbain qui est le véritable espace de relégation

Cette typologie oublie singulièrement la classe moyenne. Mais Christophe Guilluy considère la classe moyenne comme un mythe (chapitre 6) une « classe refuge » (guillemets de Guilluy) que l’on oppose à « banlieues métissées » (idem p 77).

En fait, dès les chapitres 4 et 5, Christophe Guilluy aborde le point qui fait que ses analyses, pourtant a priori destinées à la gauche, sont accusées de nourrir le développement du Front National.

Il souligne que les changements dans l’origine des immigrés au profit de l’Afrique subsaharienne ont entrainé l’ethnicisation des quartiers sensibles, question à laquelle la République est mal préparée. Les politiques de discrimination positive territoriales ont pu permettre à une République qui répugne aux statistiques ethniques d’aider les populations issues de cette nouvelle immigration.

Mais Guilluy dénonce l’hypocrisie de ces politiques dans le chapitre 5 comment je suis devenu blanc où il analyse longuement le dérapage de Manuel Vals, alors maire d’Evry qui, dans un reportage de Canal Plus de 2009 sur sa ville, lâche « belle image de la ville d’Evry » devant la population colorée d’une brocante, avant de demander à son directeur de cabinet de lui mettre « quelques blancs, quelques whites, quelques blancos » dans le décor.

A partir du chapitre 8 Christophe Guilluy décrit la France périphérique (titre du chapitre 8), qui est donc celle des classes populaires blanches.

Il emploie le terme de « white flight à la française » (p159) pour décrire le mouvement des classes populaires blanches vers les périphéries et les petites villes. S’il reconnait à ce mouvement des causes multiples (comme le souhait de vivre au vert, d’accéder à la propriété d’une maison individuelle ou le coût de l’immobilier), il note que le résultat de ce mouvement n’en aboutit pas moins à un « séparatisme d’en bas » (terme et guillemets de Guilluy) dont il dénonce la critique au nom du vivre ensemble républicain. En effet, Guilluy souligne avec raison que les prêcheurs du vivre ensemble se montrent moins virulents envers les ghettos des élites et jettent un voile pudique sur leurs propres pratiques de séparatisme scolaire.

Le résultat géographique de ce mouvement dont la consolidation est à craindre serait une opposition entre banlieues ethnicisées et une France blanche périurbaine et rurale (p 147). Christophe Guilluy en étudie les prémices dans le Sud de la France (p 160-161) où il note que dans les communes de moins de 10 000 habitants le taux d’immigrés s’est effondré alors que celui des jeunes d’origine européenne est en augmentation. Il a souligné auparavant que la France périphérique est aussi la plus pauvre car constituée d’espaces ruraux en en difficulté (Creuse) ou d’espaces désinsdustrialisés (Nord Pas de Calais, Lorraine) qui ne sont touchés que négativement pas la mondialisation (p 113 et suivantes).

Les analyses géographiques de Christophe Guilluy débouchent alors sur une géographie électorale (chapitre 11). Il analyse la présidentielle de 2007 comme la première élection post républicaine (p 169) en soulignant que les métropoles et les banlieues avec les minorités visibles ont voté Royal (Parti Socialiste, PS, donc à gauche), tandis que la France périurbaine s’est laissée séduire par les discours de Sarkozy (UMP, donc à droite) sur « la France qui se lève tôt ».

Quelques élections plus tard, on ne peut que constater que cette géographie électorale se confirme mais au profit du Front National qui enregistre ses meilleurs scores dans la France périphérique, du Sud comme du Nord.

Le livre de Christophe Guilluy analyse donc des fractures territoriales qui ne sont pas seulement sociales – et que l’on préfèrerait donc ne pas voir.

Cependant si Christophe Guilluy est géographe, son livre n’est pas un ouvrage de géographie car sa structure est peu rigoureuse alors que ses titres ou certaines de ses formulations sont très polémiques. Les chapitres 9 (Vivre ensemble, disent-ils) et 10 (Vivre ensemble séparés) le sous titre p 147 (Un grand chassé croisé) ont, d’ailleurs, même si leur auteur s’en défend constamment en entretien, des relents de « Grand remplacement » de l’écrivain d’extrême droite Renaud Camus. On peut cependant donner crédit à Christophe Guilluy de sa volonté de dénoncer l’escamotage de la question sociale par les élites politiques et même par la gauche (p 175 et conclusion de l’ouvrage). Un livre thermomètre donc, dont la critique ne fera pas tomber la fièvre.

GUILLUY (2010), Retrouvez cette fiche sur Pack Histoire-Géographie/Bibliothèque virtuelle et sur Serveur Docs/Public/Pack Histoire-Géographie/Bibliothèque virtuelle. © Cécile JACQUART (2014).

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GUILLY Fractures françaises (2010) JACQUART

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la-france-peripherique_NouvelObs_18_09_2014

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