DEVOIRS & CORRECTIONS – HGGSP, « La connaissance, enjeux politiques et géopolitiques » / Correction de la 3ième partie « La connaissance : propriété et sécurité »

DEVOIRS & CORRECTIONS

HGGSP

« La connaissance, enjeux politiques et géopolitiques » / Correction

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Ce n’est pas la connaissance en elle-même qui fonde la puissance, mais sa propriété. Et c’est là la rupture majeure avec les siècles passés : le droit intellectuel s’est considérablement développé et la propriété intellectuelle fait l’objet d’une juridiction internationale chaotique tandis que la cyber-sécurité peine à garantir le secret industriel. La connaissance scientifique, transitoire par définition, n’est-elle pas une illusion de puissance ?

                Le déséquilibre entre puissances mondiales ne tient pas seulement au capital intellectuel mais à sa propriété comme le montre l’exemple de la guerre que les États-Unis et la Chine se mènent au sujet de Huawei. Le retard américain se mesure à la diminution régulière du nombre de brevets déposés notamment sur la 5G, la cinquième génération de téléphonie mobile. Si la Chine représentait 21% des Brevets Essentiels à une Norme (BEN) pour la 4G, elle en représente 35% pour la 5G, soit une augmentation de plus de 50%. Les États-Unis qui représentaient 17% des BEN de la 4G n’en représentent plus que 13%. Et comme la Corée du Sud (3e producteur de BEN) a gardé son rang (25% dans les deux cas), la place perdue par les États-Unis a été essentiellement gagnée par la Chine. En d’autres termes, la téléphonie de demain appartiendra de plus en plus à des Chinois et de moins en moins à des Américains. Cela, additionné à l’absence de leader national dans la fabrication des composants et des téléphones, explique la nervosité américaine et la guerre commerciale qu’ils mènent au nom de la cyber-sécurité contre les grandes entreprises chinoises. On peut s’amuser de ce regain soudain d’intérêt des autorités américaines pour la propriété quand on sait que les géant des GAFAM, Google en tête, se moquent copieusement de la notion même de propriété : les réticences de Google a appliquer le « droit voisin » sur les droit d’auteurs montre qu’une partie du modèle économique de l’économie numérique américaine repose plus sur le rachat de la connaissance voire le pillage de la connaissance que sur la création de connaissance. Une stratégie commercialement gagnante mais, peut-être, industriellement perdante. La puissance née de la connaissance est aujourd’hui l’objet d’un débat, notamment concernant les logiciels libres (En open source) et le traitement des données personnelles : la migration récente de millions d’utilisateurs de WhatsApp vers Signal (L’application miroir) et Telegram lors de l’annonce du changement des règles de confidentialité montre que les utilisateurs des réseaux sociaux sont de plus en plus conscients du caractère stratégique et sensible du stockage des données numériques, et singulièrement des leurs. Les scandales liés à la vente des données personnelles par Facebook, notamment auprès de Cambridge Analytica, une entreprise qui prétendait orienter les votes grâce aux data scientists (Les analystes des masses de données numériques) et aux fake news, montre avec quelle désinvolture les GAFAM traitent la propriété.

                La cyber-sécurité est devenue un enjeu de souveraineté numérique (BENHAMOU & SORBIER, « Souveraineté et réseaux numériques », Politique étrangère, 2006, 3ième trimestre, Institut Français des Relations Internationales, IFRI, 2006), au même titre que la préservation des données personnelles. Posséder en droit des connaissances n’a jamais suffit. Il faut à la fois faire respecter ce droit et savoir protéger ses secrets, surtout quand ils sont commerciaux ou industriels. Finalement, la connaissance scientifique théorique vaut moins cher que le brevet, l’invention moins que l’innovation, c’est-à-dire la traduction commerciale de l’invention. Et l’innovation ne vaut que si ses arcanes secrets sont bien gardés : c’est pourquoi la cyber-sécurité est devenue le nouveau champ de bataille des puissances. C’est que, désormais, les attaques informatiques ne concernent plus seulement les particuliers : les entreprises stratégiques et les administrations publiques sont victimes d’attaques pour paralyser leurs systèmes informatiques ou pour les espionner. En février 2021, la municipalité de Tampa (Floride, États-Unis) a été victime d’une attaque informatique qui visait son système de distribution d’eau potable, et les pirates avaient augmenté la dose d’Hydrochlorure de sodium, un poison s’il est administration à haute dose. Entre 2019 et 2020, une attaque organisée par un État encore non-identifié a introduit un cheval de Troie dans un logiciel d’administration de serveur d’une entreprise texane qui avait comme clients aussi bien Microsoft que le FBI : pendant des mois, des données stratégiques ont été téléchargées vers des sites étrangers de collecte de données. Si l’ICANN (Los Angeles, Californie, États-Unis) qui gère les noms de domaine est devenue indépendante du gouvernement fédéral américain, les grandes puissances (Russie, Chine, États-Unis) refusent toujours la mise en place d’une législation internationale sur le Net : de facto, le Net appartient à celui qui dispose des moyens techniques et scientifiques les plus sophistiqués. L’Union Européenne (UE), tiraillée entre le désir de construire une Europe de la cyber-sécurité et son inféodation à l’Organisation du Traité de l’Atlantique Nord (OTAN) n’a pas su construire une Europe de la cyber-sécurité. L’Appel de Paris, pour une gouvernance transparente et multilatérale du Net, l’engagement de l’ONU en faveur d’une législation internationale pour le Net, ne changent pas encore les grands équilibres. Les États-Unis dominent par leurs câbles et leurs satellites, les Russes et les Chinois par leurs analystes, leurs programmeurs et leurs mathématiciens. Et la balance penche inexorablement en faveur des derniers. Les efforts de la France, en particuliers son alliance avec les Pays de l’Europe Centrale et Orientale (PECO) et surtout les pays baltes, pour mettre sur pied une coopération opérationnelle dans le domaine de la cyber-sécurité finissent par faire sourire devant la taille des défis posés par les Russes, les Chinois et les Américains.

                Au-delà de la question de la propriété de la connaissance, il faut peut-être s’interroger sur la substance même de cette connaissance : le savoir technique (et sa propriété puis sa protection) est-il le fondement de la puissance par la connaissance ? Si l’on suit les exemples de l’Union des Républiques Socialistes Soviétiques (URSS) et des États-Unis pendant la Guerre froide (1947-1991), le pouvoir que ces deux superpuissances ont exercé sur le monde a tenu autant – sinon plus – par leur capacité à produire un discours explicatif du monde que par des performances technologiques ou scientifiques. Même si les prouesses spatiales furent des symboles forts de leurs puissances respectives, elles ne permirent que de conforter les alliés dans la capacité des deux superpuissances à dominer le monde : elles ne furent pas des éléments déclencheurs de l’adhésion des nations à telle ou telle superpuissance. Les think tanks américains, et chinois aujourd’hui, sont des outils de domination par la connaissance bien plus efficaces que tous les vaccins anti COVID. La capacité des États-Unis à donner des mots au Reste Du Monde pour dire le monde a marqué son entrée en scène lors des deux siècles : ce sont les spin doctors de WILSON qui inventent l’expression de « Guerre mondiale » en 1917, alors que les Européens préfèrent la « Grande Guerre ». C’est la terminologie américaine qui est entrée dans les consciences. C’est encore les Américains qui inventent le concept de « Choc des civilisations » (HUNTINGTON, 1994-1996), de « Guerre globale contre le terrorisme » (2001). Le concept de « Guerre globale » est en lui-même un concept américain forgé durant la Seconde Guerre mondiale qualifiée par les stratèges de Global War. Harvard en fait autant pour la puissance américaine avec ses idéologues que le MIT avec ses chercheurs. Si Stanford produit de la richesse, c’est Harvard qui produit de la puissance : la fascination exercée par une puissance tient plus à sa capacité à proposer un récit du monde qu’à sa capacité à innover. Cuba, ruinée par l’embargo américain, reste un modèle pour les révolutionnaires sud-américains en raison du discours tiers-mondiste et non par ses prouesses spatiales ou numériques. L’aura du modèle chinois en Afrique date du voyage de ZHOU Enlai en Tanzanie (1966) quand la RPC s’est faite la championne de la lutte anticoloniale et anti-apartheid, à une époque où elle était elle-même un pays du Tiers-Monde sous-développé et dévoré par les famines consécutives au « Grand Bond en avant ». C’est pendant la « Révolution culturelle prolétarienne » que le maoïsme est devenu la doxa de l’intelligentsia occidentale, alors que la RPC était en proie à une quasi guerre civile et ses élites scientifiques déportées ou assassinées.

                La connaissance n’est en soi le vecteur d’aucune puissance : encore faut-il la posséder en droit et savoir faire respecter ce droit. Mais la connaissance technique et scientifique n’exerce aucune séduction de nature à renforcer la puissance géopolitique. C’est la capacité d’un pays à produire un récit explicatif du monde qui rend légitime sa puissance économique et géopolitique et rend son modèle attractif et séduisant.

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