DEVOIRS & CORRECTIONS, Composition d’Histoire, « Révolution et empire : le triomphe de la bourgeoisie? »

Sujet 1 – Réponse rédigée et argumentée à une question problématique.

Dans quelles mesures peut-on affirmer que la Révolution française, le consulat et l’Empire consacrent le principe de la propriété privée et le triomphe de la bourgeoisie entre 1789 et 1815 ? 

                               La Restauration des Bourbons en Europe et notamment en France (1815-1830) bouleverse sans doute bien des acquis révolutionnaires, tant la Charte, « octroyée » par Louis XVIII, permet aussi bien un gouvernement absolutisme qu’une monarchie parlementaire. Les biens achetés par la bourgeoisie pendant la période révolutionnaire (1789-1799) et napoléonienne (1799-1815) ne seront cependant pas repris par les nobles spoliés. On a pu parler alors du triomphe de la bourgeoisie.

                Pourtant, pendant la Révolution française, la question sociale est au cœur des débats et des crises qui la ponctuent et en assurent la dynamique proprement révolutionnaire : depuis 1791 et l’abolition de la monarchie absolue, et la proclamation de la Ière République (1792), c’est la question sociale qui prime sur la question politique de la nature du régime.

                Nous verrons ainsi qu’entre 1789 et 1799, et même après pendant le retour à l’ordre bourgeois qu’est l’expérience napoléonienne, la question de l’intangibilité et de la sacralité de la propriété s’est maintes fois posée.

                Dans un premier moment nous verrons qu’entre 1789 et 1815 c’est un ordre bourgeois qui se met en place, avec comme soubassement, le caractère sacré de la propriété privée. Mais nous verrons aussi que dans le même temps la question du partage des richesses et de l’existence même de la propriété est sans cesse au cœur du débat politique et même législatif.

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                                La période révolutionnaire (1789-1799) et napoléonienne (1799-1815) est incontestablement marquée par le triomphe de la bourgeoisie en ce sens que la propriété privée, sacralisée dans la Déclaration des Droits de l’Homme et du Citoyen (DDHC, 1789), reste l’acquis révolutionnaire qui traverse les bouleversements politiques et sociaux sans jamais être remis en question.

                La Déclaration des Droits de l’Homme et du Citoyen (26 août 1789) proclame, en son article XVII, que la propriété est « un droit inviolable et sacré », « nul ne peut en être privé ». La Révolution qui commence sera politique. Napoléon en déclarant, lors de son coup d’État du 18 Brumaire An VIII, « La Révolution est terminée, elle est fixée aux principes qui l’ont commencés » signe la fin des expériences sociales de la période jacobine. Le Livre II, Titre II du Code Civil, intitulé « De la propriété », rappelle en son article 545 « Nul ne peut être contraint de céder sa propriété », dans des termes qui reprennent presque au mot près l’article XVII de la DDHC. Favorable à la bourgeoisie, la Révolution et l’Empire sont d’abord favorables au droit de propriété dont la bourgeoisie des villes et des campagnes tire sa richesse et sa légitimité politique à diriger le pays. À l’inverse, la Révolution et l’Empire se méfient des classes laborieuses, et d’abord des artisans, les « sans culottes » dont ont craint les débordements de fureurs. ROBESPIERRE qui anime le Comité de Salut Public pendant la « Terreur » (1792-1794), fait exécuter HÉBERT et ses alliés suspectés d’être des radicaux, favorables à une révolution sociale et au partage des richesses.

                Les institutions de la Ière République puis du Consulat et de l’Empire sont viscéralement conservatrices et privilégient les propriétaires en général, la bourgeoisie urbaine en particulier. Le choix systématique du suffrage censitaire est révélateur d’une défiance de la bourgeoisie à l’égard des classes populaires. La Constitution de 1791 (La 1ère en France) qui établit le régime de la monarchie constitutionnelle, est particulièrement dure avec les pauvres : presque la moitié des hommes sont privés du droit de vote, sans parler des femmes pour qui il n’est pas question qu’elles votent. Les citoyens actifs (4 millions de Français) élisent les représentants du Roi par département, et élisent des grands électeurs qui eux-mêmes élisent les députés… Le système exclut les pauvres mais aussi les domestiques sur des préjugés sociaux évidents. Le Consulat fonctionne sur le même principe. Bourgeois, les régimes qui se succèdent le sont aussi par leur machisme : Olympe de GOUGES, Madame ROLAND et même l‘ancienne reine de France, Marie-Antoinette de HABSBOURG, sont exécutées, l’un de leur crime étant d’être sorties des limites sociales imposées à leur sexe. Car l’ordre bourgeois ne se signale pas seulement par son attachement à la propriété mais aussi par la relégation des femmes en dehors de la sphère publique, la rue comme les assemblées…

                Les fondements de ces convictions bourgeoises des Révolutionnaires sont à rechercher dans la philosophie des Lumières. VOLTAIRE et MONTEQUIEU, par exemple, ayant promu une réformation politique, aucunement sociale. La Déclaration des Droits de l’Homme et du Citoyen (1789) l’affirme : « […] Les hommes naissent et demeurent libres et égaux en droit […] » (Article 1). La Révolution de 1789 se veut politique et seulement politique. Dans son Essai sur les mœurs et l’esprit des nations VOLTAIRE déclare : « […] Quand nous parlons de la sagesse qui a présidé quatre mille ans à la constitution de la Chine, nous ne prétendons pas parler de la populace ; elle est en tout pays uniquement occupée du travail des mains : l’esprit d’une nation réside toujours dans le petit nombre, qui fait travailler le grand, est nourri par lui, et le gouverne […] » (1778). Sa controverse avec ROUSSEAU est entrée dans l’histoire des idées politiques : protégé des grands, issu de la société d’ordres et titulaires de charges officielles, VOLTAIRE ne conçoit pas le peuple comme apte à prendre des décisions fondées en raison. Du reste, les philosophes des Lumières dont ROUSSEAU et DIDEROT se méfient aussi de « l’opinion publique », versatile et légère, qui préfère mille fois un bon mot qu’un bon raisonnement. Le rapport à la masse est donc ambivalent.

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                               La période révolutionnaire (1789-1799) et napoléonienne (1799-1815) est également celle d’une profonde réflexion autour de la notion de propriété : les Jacobins autour de Robespierre défendent l’idée d’un prix maximum pour les denrées de première nécessité, les communistes autour de Gracchus BABOEUF défendent, eux, l’idée d’une mise en commun des biens. Mais cette « gauche » radicale milite aussi pour l’émancipation des femmes, une valeur contraire à l’ordre bourgeois qui se met en place.

                La Révolution française (1789-1799) a été le théâtre d’une intense réflexion autour de la question de la propriété. Même la Révolution dite « bourgeoise » de 1789 à 1793 a été soucieuse d’une certaine forme de redistribution des richesses : l’abolition des privilèges nobiliaires de la nuit du 4 août 1789 qui permet le rachat des droit seigneuriaux par ceux qui y sont assujettis montre que la propriété n’est pas un tabou en soi. La vente des « biens nationaux » (Propriétés de la monarchie, de l’Église et des nobles exilés à l’Étranger) montre là encore que la propriété n’est pas un absolu : en la matière, les dispositions de l’article XVII de la DDHC relatif à la propriété n’ont pas été respectées car la « juste et préalable indemnité » n’a été, pour les biens nationaux, ni juste ni préalable, les biens ayant été saisis, le produit de leur vente allant directement dans les caisses de l’État, et non vers les anciens propriétaires. C’est l’exemple même du droit de propriété bafoué. La loi du maximum (1793) qui fixe un prix pour les denrées de première nécessité est un autre exemple de ces tentatives pour donner à la Révolution une coloration plus sociale. À partir de 1793 et l‘éviction des Girondins, qui représentaient les milieux d’affaires, l’opposition entre bourgeoisie nantie et le petit monde de la boutique et des artisans est un des moteurs de la dynamique révolutionnaire. La gauche la plus radicale (HÉBERT et le Club des Cordeliers) se rapproche aussi des thèmes féministes : ils fréquentent les clubs ouverts aux femmes, militent pour une reconnaissance des droits des femmes dans la vie politique.

                La gauche révolutionnaire est animée par des penseurs de renom : HÉBERT Directeur du Père Duchesnes) et MARAT (Directeur de L’Ami du peuple) sont la voix des plus pauvres : HÉBERT déclare « […] La patrie, foutre, les négociants n’en ont point. Tant qu’ils ont cru que la Révolution leur serait utile, ils l’ont soutenue. Mais c’était pour se mettre à la place des aristocrates. […] Ils ont accaparé toutes les subsistances pour les revendre au poids de l’or ou pour nous amener la disette […] » (1794). La France voit, avec le Babouvisme, l’ébauche des premières théories communistes. Gracchus BABOEUF, journaliste et homme politique montagnard pendant la Révolution, fervent partisan des sans culottes est l’auteur du Manifeste des Égaux, dans lequel il écrit « […] Plus de propriété individuelle des terres, la terre n’est à personne. Nous réclamons, nous voulons la jouissance communale des fruits de la terre : les fruits sont à tout le monde […] » (1797). La conjuration des Égaux est déjouée et ses membres exécutés (1797). Pour autant, la réflexion ne faiblit pas et donne naissance à ce qu’on appelle, au XIXe siècle, « la question sociale » : Karl MARX et Friedrich ENGELS feront des babouvistes les précurseurs du mouvement communiste. Les Jacobins ne sont pas en reste et proclament l’abolition de l’esclavage (1794) au nom des droits naturels qui, selon ROUSSEAU, fondent la légitimité des gouvernements.

                La philosophie rousseauiste irrigue des courants de pensée politique très différents les uns des autres. ROUSSEAU dans le Discours sur l’origine et les fondements de l’inégalité parmi les hommes (1755) écrit « […]  Le premier qui, ayant enclos un terrain, s’avisa de dire « Ceci est à moi », et trouva des gens assez simples pour le croire, fut le vrai fondateur de la société civile […] ». C’est la première dénonciation moderne des effets délétères de la propriété sur les sociétés et leurs institutions. C’est aussi la première critique moderne de la propriété : si la propriété n’a pas de fondement naturel, alors en quoi est-elle légitime ? Or, selon ROUSSEAU, une société doit être gouvernée par des principes qui la dépassent et qui l’élèvent (« […] les vices n’appartiennent pas tant à l’homme qu’à l’homme mal gouverné […] », Narcisse ou l’amant de lui-même, 1753), ils doivent donc être fondés en raison : la liberté est dépendante de la vérité. Dans le chapitre IV « De la démocratie » du Contrat social (Livre III, 1762) ROUSSEAU fait même de l’égalité des fortunes une des conditions de survie de la démocratie, autant dire qu’il s’agit d’un régime qu’il qualifie lui-même d’utopique…

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                                Triomphe de la bourgeoisie, la période révolutionnaire et napoléonienne (1789-1815) l’est assurément. Les textes de lois, les constitutions, les institutions et les convictions profondes des dirigeants y incitent. À tel point que les propriétés des nobles et de l’Église, confisquées puis revendues par la Révolution, leurs sont dédommagées : c’est le « milliard des émigrés ». Mais elle ne se résume pas à cela : le bouleversement sociétal a été majeur entre 1789 et 1815, l’habitude prise de voter, de délibérer et de contester ne se perdra pas. D’autre part, la période a été le creuset d’un questionnement social fort : place des femmes, droit de propriété, tout est questionné.

© Souleymane ALI YÉRO, Erwan BERTHO & Ronan KOSSOU (2019)

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